Reprenons donc l'histoire de cette chapelle au moment
où elle entre dans le champ de vision d'une troupe de Routiers-Scouts, de
la famille des Scouts d'Europe et du clan St Jacques de Compostelle. Les
objectifs de la Route : le Service, la Marche, la Prière. Le Service, en
l'occurrence ce fut la restauration d'une chapelle ; la Marche, ce sont
des tronçons successifs de marche vers Compostelle et la Prière, une
formation chrétienne appuyée.
Ces jeunes ont de 17 à 22 ans. Deux équipes se sont
relayées au chevet de cet édifice, la première celle du chef Thomas
Girard, la seconde celle de Stéphane Lahaye.
Donc, cherchant à restaurer une chapelle, les
Routiers entrent en contact avec l'Ararco. Son conseiller technique, René
Dutilleul, les prend en mains et entreprend de leur montrer des chapelles
à restaurer qui ne soient pas trop éloignées de Lille. D'abord à
Houplin-Ancoisne mais il apparaît que ce chantier dépasse leurs
compétences qui, en matière de bâtiment, sont minces, il faut bien le
reconnaître. Nous sommes en décembre 1997. Le 6 février 1998, voici nos
jeunes gens devant une chapelle de Cobrieux après être passés à
Baisieux et Cysoing ; le 11 février, toujours sous la conduite de R.
Dutilleul, ils visitent à nouveau Cobrieux, mais aussi Genech, Bachy,
Cysoing-Quennaumont : 60 kilomètres d'investigation ! Impatients de se
mettre au travail, la troupe se retrouve à Cobrieux avec les seaux de
peinture : c'est alors que leur est présentée la chapelle St Léonard de
Bouvines. Elle est dégradée, ses vitres sont cassées, le toit crie
misère, les plâtres sont décollés. Il faut un jointoiement général
extérieur, des peintures intérieures, un nouveau toit (mais ils
connaissent un couvreur), des vitres ou des vitraux. Reste à découvrir
le ou les propriétaires, financer l'achat des tuiles : il en faut 360.
L'Ararco acquiert la certitude que la Fondation Dehau
est la propriétaire ; R. Dutilleul effectue les démarches que
nécessitent l'obtention de l'autorisation des travaux et l'assurance d'un
financement .L'autorité et l'expérience professionnelle de René peuvent
légitimement rassurer les propriétaires. Le 14 juin 1998, les statues et
leurs socles sont déposés et mis en sécurité ; la porte est
démontée, René effectue les commandes et rassemble les factures qu'il
présentera en fin de travaux à l'association propriétaire. Il fait de
sa poche les avances nécessaires, prête un petit échafaudage. Enfin les
travaux sont commencés.... puis abandonnés !
L'équipe du chef Lahaye prend le relais en
1999.Heureusement que son père, retraité du bâtiment, se révèle
adroit dans toutes les disciplines : il sait réellement tout faire, et à
la perfection. C'est à lui, finalement, que la chapelle St Léonard doit
d'avoir retrouvé un aspect de jeunesse, l'air d'une chapelle aimée. La
charpente qui a pu être conservée a reçu une couverture neuve ;
l'enduit intérieur est impeccablement lissé ; les dalles d'entrée sont
refaites, mais il faut empêcher camions et autocars de tourner trop court
quand ils font demi-tour devant la chapelle : la rue est en cul-de-sac
depuis que le T G V passe à proximité.
La présidente prend le relais du conseiller
souffrant : à qui est le terrain environnant ? A qui revient l'entretien
de l'espace compris entre la rue, le chemin et la prairie que la S N C F a
planté d'arbres ? Les statues sont-elles repeintes, les socles posés à
nouveau ? Des suggestions , des renseignements sont envoyés au Maire. Le
fermier voisin, si aimable et coopératif, a déplacé les engins qui
enlaidissaient les abords de la chapelle ; un tas de bricaillons a été
nivelé ; au printemps 2000, on peut penser à la bénédiction.
Nos Routiers se sont affairés et ont préparé une
veillée comme ils savent les faire, rendant au public venu le sentiment
et les souvenirs d'une jeunesse enfuie... Ils nous font chanter en canon
Brave Madeleine, Matelot puisqu'il fait bon vent, Fleur d'épine... et
puis de beaux chants d'inspiration religieuse entrecoupés de saynètes
pleines d'entrain et de modernité ! Deux feux brûlent tout au long de la
soirée, des torches embrasent la chapelle et son pourtour : c'est beau.
Arrive le moment de la bénédiction : l'abbé Régis Menet évoque la
multitude des chapelles que l'on peut voir dans nos villages : l'homme
s'est adressé à Dieu, il veut construire une demeure à Dieu. St
Léonard, St Joseph et Ste Saturnine dont les statues ornent la chapelle,
appartiennent à l'immense communauté qui relie le ciel à la terre
grâce à qui le monde ancien a disparu laissant la place à un ciel
nouveau, à une terre nouvelle ; « à celui qui a soif, je
donnerai l'eau vive gratuitement »... Puisant l'eau dans une
assiette, il en asperge abondamment la chapelle et invite l'assistance à
faire de même : chacun s'approche, et s'approprie ce sanctuaire comme
celui-ci s'est approprié les efforts, la fatigue, le temps des uns et des
autres.
Oui, il faut remercier M. et Mme Dal, M. Lahaye dont
les déplacements cumulés atteignent 1500 kilomètres ! Sans parler des
46 journées prélevées sur ses loisirs et sa vie familiale ; M.
Dutilleul pour la pédagogie déployée à expliquer le travail, la
méthode, et pour sa rigoureuse comptabilité ; l'association
propriétaire qui a assuré le financement ; et toutes les bonnes
volontés à qui l'on doit le charmant fleurissement, la sonorisation...
et tout ce que l'on ne sait pas. Que St Léonard, quel qu'il soit, les
protège tous, et protège la chapelle des dégradations et du vandalisme.
Monsieur et Madame De Prat nous lurent un texte de
Monsieur Jean Lemahieu, l'historien averti de Bouvines. Il était chargé
de préciser l'origine de la chapelle et ce fut fait en des termes si
séduisants que cette relation ne serait pas complète si ce texte n'en
faisait pas partie. Le voici :
Que sait-on de ce François Duponchelle qui fit un
jour le vœu d'ériger ici cette chapelle ?
Qu'il était le grand-père de Gabrielle Fourmentraux,
elle-même grand-mère de Paul et Maurice Corman, anciens menuisiers, bien
connus dans ce village de Bouvines.
Qu'il était tisserand au hameau de Melchamez où
nous nous trouvons, hameau peuplé d'une centaine d'habitants au siècle
dernier, autour d'une grosse exploitation agricole, la « cense de la
Motte ».
Qu'il y avait beaucoup de tisserands à cette époque
dans toute la région. Ils travaillaient chez eux sur un métier à tisser
rudimentaire : l'otil, actionné par pédaliers, pour confectionner une
chaîne de tissu en laine ou en coton. Les fils à tisser étaient
disposés en « chaîne » c'est-à-dire dans le sens de la
longueur et avec la navette on lançait la trame de droite à gauche et
inversement pour composer ainsi le tissu.
Le métier était pénible à cause du travail
incessant des bras et des jambes. Le ménage et les enfants se relayaient
pour que l'otil tourne au maximum.
Le tisserand à l'otil n'était pas un ouvrier, mais
un artisan et il se rendait souvent à Roubaix, voire à Lannoy ou
Tourcoing à pied ou à brouette (rappelons-nous les "Broutteux"
de Jules Watteux) pour se fournir en matière première.
Pourquoi François Duponchelle fit-il construire
cette chapelle en l'honneur de St Léonard ?
On sait que cette chapelle a été bénite en 1856 et
que François était décédé en 1855. Ayant perdu sa première épouse
très jeune, de quoi ? Ayant eu deux enfants de la seconde, et sachant que
St Léonard avait secouru par ses prières la reine d'Aquitaine qui avait
des problèmes pour accoucher de son enfant, on peut laisser vagabonder
son imagination... et peut-être, trouver là une relation de cause à
effet... Bref, on n'en sait rien.
En 1856, au moment d'inaugurer cette chapelle, il n'y
avait qu'un seul St Léonard connu et canonisé sous ce vocable, c'était
le contemporain de Clovis et de St Rémi, Léonard de Noblat. Il y a bien
un autre St Léonard, mais c'est un jeunot par rapport à l'autre, italien
de surcroît, et il ne fut reconnu saint que 15 ans après la
bénédiction de cette chapelle.
Pourquoi cette chapelle à cet endroit ?
A l'époque c'était un carrefour important pour les
ouvriers qui allaient travailler à pied vers les villes de Lille, Roubaix
et Tourcoing.
Venant de Templeuve (où il y a encore la rue de
Roubaix), à droite en regardant la façade de la chapelle, ou d'Orchies,
via Cysoing, à gauche ; ils descendaient ensuite la carrière des Marais
jusqu'à la petite maison (où habite un descendant de François) pour
emprunter la pied-sente d'Orchies qui, longeant la Pièce d'eau, le petit
château et la fontaine St Pierre, aboutit toujours à la rue F. Dehau,
non loin du pont.
Que dire et penser, en l'an 2000, de cette
réalisation qui avait dû coûter bien cher à un homme, qu'on imagine de
condition modeste !
Que de la Foi, il y en avait à revendre à
l'époque.
Foi de tradition, certes, puisant ses racines dans un
contexte familial et ancestral... Foi où Dieu et les saints étaient
omniprésents dans la vie de tous les jours, sur les chemins et dans les
demeures.
Foi reçue et à transmettre comme un bel héritage,
plus souvent plus souvent que l'aboutissement d'une démarche personnelle.
Foi cadrée entre le bien et le mal, Foi de gens
simples et sincères, mais Foi à toute épreuve en leur Dieu, en
l'Église et en leur Patrie, comme ils l'ont prouvé, un peu plus tard, en
1914.
Longue vie donc, à cette chapelle St Léonard, merci
à tous ceux et celles qui ont contribué à sa restauration et enfin,
aujourd'hui, à cette même époque de l'année et en ce même lieu où
pendant 150 ans les Bouvinois sont venus en procession chaque mardi des
Rogations, on peut dire comme jadis : Sancte Leonarde, ora pro nobis ; et
puis tant qu'à faire, comme ils sont deux : Sanctes Leonardes, orate pro
nobis....