D’où viennent-ils les noms de lieux du secteur ?

Article du journal paroissial paru en avril 2001

Pourquoi Cysoing s’appelle Cysoing ?... Que veut dire Sainghin?... ou Wannehain ?... qui se terminent apparemment de la même façon ? La plupart des noms de nos villes ou de nos villages sont pour nous des mystères parce que nous ignorons presque tout de leur histoire la plus ancienne.

Les documents écrits où leurs noms apparaissent pour la première fois datent au plus tôt de 850 pour un petit nombre, mais le plus souvent il faut attendre 1100 pour qu’ils soient cités de façon suivie et cohérente. Or, notre région a été habitée dès avant Jésus-Christ, par les Gaulois. Or, dès qu’un lieu était occupé, il recevait un nom, c’était indispensable pour pouvoir se repérer ! Les noms de nos villages ont donc existé bien avant les premiers événements que nous puissions connaître de notre histoire locale.

Comment faire pour combler cette ignorance ? Peut-on soulever un coin du voile qui recouvre nos histoires locales ? il faut bien sûr prendre d’infinies précautions, ne pas se fier à la forme actuelle du mot, ne pas faire des rapprochements trop évidents avec des mots de notre vocabulaire usuel. Le terrain est très glissant et il est facile de déraper. Ce préambule est destiné à prévenir que la toponymie (la science des noms de lieux) est une science difficile, que des questions peuvent rester sans réponse ou que les réponses peuvent être accompagnées de “peut-être”... “en attendant mieux…

Deux noms qui le prouvent

C’est le cas de Baisieux, formation très isolée dans notre région. La citation la plus ancienne connue est Baiseu, et un savant, illustre en la matière, a proposé un ancien Bacivum, qui serait un nom gaulois signifiant verger à fruits (baca est une baie en latin), mais cela n’est qu’une reconstitution et rien n’est certain. Alors, en attendant mieux, pourquoi pas?...

Un autre piège à éviter, c’est de se fier aveuglément à la forme actuelle des noms de nos villages. Celle-ci date en général du début du XIXe siècle. Si la prononciation est restée stable pendant des siècles, leur orthographe a beaucoup varié, et il faut rechercher dans les manuscrits les formes les plus anciennes puisqu’elles sont les plus proches des origines. Les exemples sont nombreux. Prenons Mouchin dans notre secteur. Mouchin s’écrit ainsi depuis 1804, et existait déjà sous la même orthographe dans un texte de 1246, ce qui est rare. Mais cette localité présente aussi d’autres formes depuis sa première citation:

Muscinium en 847, ce sont Moscin 1111, Muscin 1173, Mouschin 1289. Moussin-en-Peule (Peule = Pévèle) 1398.

Dans notre secteur, beaucoup de lieux possèdent un nom qui, comme Mouchin, finissent par le son IN, sans pour cela que dans l’écriture, ils se terminent par ces deux lettres IN. L’orthographe importait peu autrefois. Le son IN peut s’écrire IN, EN, AIN, EIN. On s’en rend compte encore dans la langue d’aujourd’hui, mais nous ne sommes plus libres de les écrire l’un pour l’autre, indifféremment.

Les noms finissant par le son IN

Beaucoup de nos noms de lieux ont été créés à partir d’un nom d’homme, le fondateur du lieu vraisemblablement, qui a établi là son domaine il y a des centaines et des centaines d’années. Cela semble logique, on allait chez Untel ou Untel. Ce pouvait être un Gaulois, un Romain, un peu plus tard un Germain. Dans les premiers siècles après la conquête romaine, c’était la langue latine qui avait le plus d’influence. Les Romains pouvaient ajouter à leur prénom une terminaison - inus, ou - inius, suffixe sans signification précise. On pouvait appeler quelqu’un Antonius ou Antoninius, comme on fait chez nous, quand on donne le prénom Antonin, au lieu de Antoine. Cette finale - inius peut aussi s’écrire - ignus (la prononciation est la même). Ainsi, apparaît dans l’écriture la lettre G, comme dans Anstaing, mais cette consonne n a jamais été prononcée. On peut ainsi relever outre Mouchin, Camphin (Canfen 1108), Tressin (Tresen 1241), Anstaing (Ansten 1136, Anstain 1197), Sainghin (Syngin 977, Senghin 1131). La terminaison est la même à l’origine, elle a varié par la suite. Quant au nom de personne qui précède, il est probablement romain ou gaulois dans Camphin, Mouchin, Tressin, germanique dans Anstaing et Sainghin. il ne faut pas s’étonner de voir un nom de lieu composé de deux mots de langues différentes : dans Sainghin, le nom germanique Singo et la terminaison latine - inus (gh équivaut à gu). Latin, gaulois et germanique étaient très imbriqués l’un dans l’autre, bien que le latin fût la langue dominante.

Selon ces principes, que penser de la prononciation de Chéreng, écrit Ceren en 1145, Cheren en 1146, Cerenz en 1181 ? Selon la langue locale, le picard, il va de soi qu’on entende CH à l’initiale. Quant à la finale, nos patoisants sont vraisemblablement plus proches de la prononciation d’origine, quand ils disent Chéring, EN en picard se dit IN. C’est à partir de 1150 que, en français, on prononce de la même façon EN et AN, c’est-à-dire AN. Dans le cas de Chéreng, l’orthographe EN a entraîné une prononciation conforme au français actuel.

Cysoing est le lieu pour lequel le moins de question se posent. Sa célébrité, dès les temps anciens, Cisonius en 870 lève toute incertitude. Les attestations sont nombreuses. C’est un nom se terminant par - onius, moins fréquent que - inius, utilisé dans les noms précédents.

Un nom gaulois

Bachy est le seul nom de notre secteur se terminant par - Y, mais il fait partie d’une longue série de noms composés de la même façon. Cité en 1221, sous la forme de Baissi, il est formé d’un nom propre, sans doute Bacius, et d’un suffixe d’origine gauloise - acum, devenu - y à la suite de plusieurs évolutions phonétiques. C’est cette même terminaison qui existe dans Bavay (Bagacum), Cambrai (Cameracum), mais ces noms en - ai sont plus anciens que ceux finissant par un simple - y, comme Auchy, Beuvry, Vimy, etc.

Des noms d’origine latine

Deux autres noms montrent également l’emploi du latin dans cette région. Bouvines et Louvil figurent dans un texte de 1164, Bouines et Louilum. À cette époque, la lettre U équivalait à V. Ces localités s’appelaient ainsi, parce que l’abbaye de Cysoing faisait paître des bœufs, à Bouvines (latin boves), des moutons à Louvil. La consonne initiale de Louvil L représente l’article et la suite le latin oves : brebis. Cobrieux est aussi d’origine latine. Corberio (899) est formé de deux mots, l’adjectif curvus, courbe et le nom rivus, ruisseau, c’est-à-dire le riez qui forme une boucle autour de Cobrieux.

Bourghelles est un nom mixte. Son radical bourg est d’origine germanique, il a ici le sens de forteresse, ce qui correspond à sa situation sur une hauteur, mais elle était peu importante comme le précise le suffixe diminutif issu du latin -elle (Borguele 1123).

Les noms germaniques

Deux localités portent des noms manifestement d’origine germanique : Wannehain et Willems. Ce dernier est le nom de celui qui s’est installé en cet endroit, dès l’époque des invasions franques. Il apparaît dans les manuscrits dès 1123 sous la forme Wilhem (Guillaume). Wannehain est composé comme bien des noms précédents d’un nom d’homme et d’un suffixe, mais dans ce mot, les deux parties sont germaniques. La terminaison - hain figure le plus souvent sous la forme - hem dans de nombreux noms de localités situées plus au nord, Verlinghem pour donner un exemple proche de Lille. Cette syllabe signifie maison et par extension, village (c’est l’origine du mot hameau). Wannehain, Wenehem (1179) signifie donc la maison, le village de Wano. Quant à Gruson, il semble que les noms de lieux terminés en - on, viendraient de noms germaniques. Certains, bien connus, ont cette même terminaison. Ainsi, le nom Charles avait deux formes Charles (comme sujet) et Charles (comme complément). En 870, existait déjà Grecione, Grecine est cité en 1146,Gruison en 1172.

Lumières sur l’histoire

Dans nos régions du nord qui ont connu au cours des premiers siècles tant de bouleversements, les documents écrits sont quasi inexistants jusqu’à l’an 1000. Les seuls vestiges que nous possédions de ces siècles passés, nous les devons aux fouilles archéologiques et aux noms de lieux. Ces derniers n’ont pas foncièrement varié depuis la fondation des domaines. Ils ont suivi les mêmes lois phonétiques que les autres mots de notre langue et il convient de leur appliquer correctement ces lois. À ces conditions, ils sont fiables.

À l’examen des toponymes (= noms de lieux) de notre “secteur”, nous pouvons nous rendre compte que celui-ci a été habité dès l’époque gauloise et gallo-romaine. Vers le IIIe siècle, des Francs se sont installés, ici ou là, en plus ou moins grand nombre. Notre région (Nord - Pas-de-Calais) est devenue peu à peu “linguistiquement mixte”, mêlant latin, gaulois, germanique.

Dans cette partie située à l’est de Lille, on peut constater que la proportion de toponymes germaniques est nettement inférieure à celle qui existe à l’ouest et qui s’accroît au fur et à mesure qu’on se rapproche de la côte. On pourrait déduire de cette observation que notre région avait, déjà avant les premières infiltrations germaniques, une population assez dense et que les terres en friche y étaient moins nombreuses qu’à l’ouest. Mais c’est peut-être audacieux !...

Il ne faut pas croire cependant que tous les noms d’origine latine datent des premiers siècles. Bouvines, Louvil sont liés à l’abbaye de Cysoing, Cobrieux à l’abbaye de Saint-Amand. Ces lieux n’existaient sans doute pas avant la fondation de ces abbayes. Ce sont les moines qui, en défrichant les forêts, cultivant les terres, ont créé aussi de nouveaux lieux habités. Quant à Quennaumont, le “Chêne du mont” ce lieu-dit porte clairement la marque d’un picard déjà bien constitué, or c’est à partir du IXe siècle que les dialectes se sont constitués.

Il convient toujours d’être prudent...

Denise Poulet

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