De Luther au temple de Baisieux

(Article du Bulletin paroissial de Juin 2001)

Pourquoi un temple à Baisieux ? C’est probablement en souvenir des menaces qui pesaient sur les protestants et qui les amenaient à trouver refuge à Tournai

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Servie par l'œuvre critique de l'humanisme, la liberté de mœurs et de pensées sévissant jusque dans le clergé, la réforme fut initiée par Martin Luther. Sa doctrine apparut à Anvers vers 1518-1520, s'insinua sans violence jusqu'à Lille en 1521 et à Tournai en 1523.

Mais l'Église ne pouvait rester inactive face à cette invasion des idées nouvelles : la réaction ne se fit pas attendre. Le gouverneur de Lille (Maximilien Vilain de Gand, baron de Rassenghien), le magistrat, le clergé, les ordres religieux réfutent les théories jugées subversives, arrêtent les prédicants et supposés meneurs, interrogent, jugent et exécutent. A Lille, les thèses luthériennes ont séduit essentiellement les travailleurs manuels : ouvriers du textile, manœuvriers mais bientôt c'est l'église calviniste qui s'établit ; après une accalmie vers 1539-1540, les poursuites reprennent de plus belle, encouragées par la régente Marie de Hongrie et relayées par le gouverneur. L'église réformée de Lille semble bien avoir été l'une des premières, sinon la première des communautés calvinistes des Pays-Bas. Vers 1545, la répression est telle que l'on peut parler de tornade et l'église de Lille doit être reconstruite, ce qui sera l'œuvre du pasteur Guy de Bray venu s'installer à Lille. "En peu de temps sous sa conduite. la communauté lilloise allait devenir la plus vivante et la mieux organisée des églises calvinistes des Pays-Bas, celle que les réformés du pays tout entier prendraient pour modèle et que les autorités civiles s'efforceraient de détruire avant toute autre." (M-P. Willems-Closset)

Contraint de s'enfuir en 1555, il est remplacé par Jacques de Lo jusqu'à sa mort en 1560 ; à celui-ci succède Corneille de Lezennes. On estime que pour les " villages " de Tourcoing, Wambrechies, Bondues et Mouvaux, la religion nouvelle compte de 3 à 4000 adeptes. Mais ce succès ne dure pas : Tournai est devenue une communauté plus solide, où le recrutement s'est fait parmi des couches plus aisées de la population, des édiles ayant des appuis. Et en janvier 1562, un édit royal autorise les huguenots français à prêcher librement en dehors des villes. Ce qui ne se fera pas sans une stricte surveillance... De là, ces tableaux que nous montrent les musées, intitulés " la prédication de Saint Jean-Baptiste " et qui ne sont autre chose que les représentations des prêches, plus ou moins clandestins, des prédicateurs protestants.

L’Édit de Nantes calme les outrances

Vers 1565, la pression populaire monte ; des critiques de plus en plus vives se font jour à l'encontre du clergé " papiste ", des libelles injurieux circulent ; la population subit une fantastique hausse des prix, une crise sociale sévit dans les années 60 ; de mauvaises récoltes entraînent la raréfaction des céréales et leur cherté ; Lille et Hondschoote sont devenus des centres industriels tels qu'on a pu insérer Hondschoote dans la banlieue économique d'Anvers. (Émile Coornaert)

Les échanges commerciaux sont nombreux et s'accompagnent de ceux des idées. La crise économique engendre des mécontentements qui vont se traduire par un désir de revanche sur les possédants d'alors : clergé, abbayes. " Les milieux artisanaux et ouvriers ont constitué certainement des auditoires très réceptifs, tout disposés à entendre les prédicateurs du printemps 1564 lorsque, sillonnant le pays et multipliant les prêches publics, quadrillant littéralement certaines régions comme l'Ouest Flandre, ils dénonçaient les turpitudes de l'église catholique, proposaient une foi nouvelle, un retour à l'évangile, désignaient à la colère populaire ces temples remplis d'idoles et de "simulacres" " (Les casseurs de l'été 1566, Solange Deyon et Alain Lottin). Entre mai et juillet 1566, c'est la flambée de l'iconoclasme : incendies, meurtres, pillages qui commencent par la Flandre. La répression se fait aussitôt et en février 567 est instauré le Conseil des Troubles. Lille cependant reste calme : l'église réformée, dite de la Rose, était alors sans force ; la gouvernante des Pays-Bas pouvait ranger Lille parmi les " bonnes villes fidèles au roi et à l'Église ". Partout ailleurs, la répression organisée et exercée par le duc d'Albe amène le départ en exil de nombreux réformés qui échappent ainsi à la mort ou à la renonciation à leur religion. Ils apporteront leur savoir et leurs richesses en Angleterre, en Hollande, en Allemagne et même au Nouveau Monde.

Nouveaux remous

Le calme revient en France avec ]a promulgation de l'Édit de Nantes en avril 1598 ; Henri IV accorde aux protestants la liberté de conscience et l'exercice public de leur culte. 1598 est aussi l'année où l'infante Isabelle, fille de Philippe II d'Espagne, épouse l'archiduc Albert d'Autriche et reçoit dans sa corbeille de noces la gouvernance des Pays-Bas méridionaux : le couple princier arrive en Flandre et n'aura de cesse de relever les ruines, restaurer l'autorité et tous les rouages de la religion notamment et, organisant l'enseignement.

A cette période de calme relatif succède une nouvelle période de persécutions : Louis XIV révoque l'Édit de Nantes le 17 octobre 1685 ; à nouveau les protestants émigrent. Le roi fait la guerre ; les armées de l'Angleterre, de la Hollande et de l'Allemagne coalisées contre la France assiègent Lille qui se rend malgré le rôle de la citadelle et la magnifique résistance de sa garnison sous les ordres du maréchal de Boufflers. De 1708 à 1713, la ville et la province sont occupées par les coalisés qui sont de religion réformée ; un des articles de la capitulation stipule que la chapelle de la citadelle n'abritera pas d'office du culte protestant, ce qui sera respecté ; mais il est évident que les adeptes de la religion nouvelle auront leur temple : la ville acheta l'emplacement du jeu de Paume et y fit construire un temple. La cohabitation se fit sans douleur, à l'exception de quelques bris d'images saintes posées sur les murs des maisons et dont les auteurs furent châtiés sévèrement : on parlait alors de sacrilège...

La paix d'Utrecht rendit Lille à la France en 1713 ; les protestants perdirent leur existence légale mais le culte persévéra en cachette ; cependant on allait à Tournai pour les baptêmes et les mariages. Sous Louis XVI, les réunions du culte se tenaient à Haubourdin ; s'y rendaient les fidèles d'Herlies, Illies, Violaines et des bourgs avoisinant La Bassée, ceux de Lannoy, Lys, SaiIly, Mouvaux et des environs de Roubaix.

La révolution donna un état civil aux protestants ; le temple lillois fut établi dans l'église des Bons-Fils, rue de Tournai ; il est aujourd'hui... place du Temple, dans ce qui fut le quartier universitaire avant son déplacement vers la ville nouvelle. Au XIX° siècle, l'église protestante lilloise connut un grand essor sous l'impulsion des prédicateurs anglais venus évangéliser les masses ouvrières immigrées de Grande Bretagne : les églises de Fives et de Roubaix trouvent là leurs origines. Dans le département du Nord, Quiévy possède un temple depuis 1788 ; " La période qui va de 1820 jusqu'au milieu du siècle voit l'élévation de nombreux édifices : Illies, Lannoy, Nomain, Bertry, Caullery, Elincourt ; le temple de Baisieux se dresse en 1841. L'édification de temples situés dans les centres urbains comme Cambrai, Valenciennes, Douai souligne dans une certaine mesure que le protestantisme tend à progresser dans les villes. Enfin, les efforts d'évangélisation entrepris dans le bassin minier à la fin du siècle se concrétisèrent par les temples d'Aniche et Sin-le-Noble. " (Voix du Nord, 1985)

Dans la métropole lilloise, il y a quatre paroisses : une à Roubaix (dont Evert Veldhuizen est le pasteur), une à Tourcoing, une à Fives et enfin celle de Lille dont dépend la petite communauté de Baisieux. Pourquoi un temple à Baisieux ? C'est probablement en souvenir des menaces qui pesaient sur les protestants et qui les amenaient à nouveau refuge à Tournoi, si proche, par le chemin de Breuze... Au cours de son existence déjà longue, le modeste édifice a connu des restaurations qui furent réalisées bénévolement, notamment en 1950 ; des détenus de la prison de Loos ont façonné la croix ; en 1977 on découvrit un champignon qui nécessita à nouveau d'importants travaux. Il n'y a plus que deux services par mois, les protestants rencontrant la même désaffection que les catholiques dans ce domaine ; mais la communauté reste très vivante : puisse l'œcuménisme progresser pour une meilleure connaissance les uns des autres, et la foi résister à l'indifférence ambiante, pour les catholiques comme pour les protestants !

Sources :

·        articles parus dans la Voix du Nord en 1985 sous la signature J.B.

·        C.-L. Frossard – L’église sous la croix pendant la domination espagnole. Chronique de l’Église réformée de Lille, 1857.

·        Le protestantisme dans la région de Comines hier et aujourd’hui – J.-M. Duvosquet, Raymond Brancart, Comines 1974.

·        Aperçu sur l’histoire de la Réformation à Lille et dans la Flandre française. Pasteur C.-L. Frossard, 1859.

·        Les casseurs de l’été 1566, l’iconoclastie dans le Nord de la France – Solange Deyon et Alain Lottin, Hachette 1981.

·        Le protestantisme à Lille jusqu’à la veille de la révolution des Pays-Bas (1521-1565) – M.-P. Willems-Closset, p. 199 à 216 in Revue du Nord, numéro 205, avril-juin 1970.

·        Baisieux 2000, édité par la ville de Baisieux.

 

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