Abrégé de la vie de Saint Leu ou Loup

Saint Leu, naquit vers l’an 629, près d’Orléans. Son père s’appelait Bethon, et sa mère Austrégilde, tous deux du sang royal, et vivant conformément aux commandements de Dieu et de l’Église. A la naissance de saint Leu, la princesse, sa mère, fut avertie, de la part de Dieu, que cet enfant serait un jour un très digne prélat, et une grande lumière de l’Église de France. Cette révélation l’obligea de nourrir elle-même son enfant, contre la coutume des personnes de son rang, afin de lui faire sucer la piété avec le lait. Elle avait deux frères, évêques, l’un d’Orléans, appelé Austrène, l’autre d’Auxerre, appelé Aunaire, tous deux excellents ministres de Jésus-Christ. Ils prirent un soin particulier de l’éducation de leur neveu, sachant que la divine Providence le destinait à quelque chose de grand. Sous la conduite de maîtres si sages et si pieux, le jeune Leu fit de notables progrès, surtout dans l’éloquence ; elle semblait lui être naturelle, tant il disait aisément et de bonne grâce ; il y fit de si notables progrès qu’il fût bientôt estimé un des plus sages et des plus éloquents personnages de son temps.

Mais la grâce de Jésus-Christ se répandit bien plus abondamment dans son âme. Il témoigna tant d’inclination pour le service des autels, pour les cérémonies de l’église et pour le chant de l’office divin, où sa voix paraissait aussi douce et aussi agréable que celle d’un ange, que les prélats, ses oncles, lui conférèrent la tonsure cléricale. Le désir d’une plus grande perfection lui fit quitter sa patrie, vendre ses biens, distribuer l’argent aux pauvres et se retirer dans l’île déserte de Lérins, où il passait son temps entre la prière, les jeûnes et autres austérités de la règle, et la visite des tombeaux des martyrs.

Après la mort de saint Arthème, son oncle, le clergé et le peuple de Sens l’élurent archevêque ; et dans la crainte qu’il vint à refuser, ils firent ratifier son élection par le roi Clotaire II.

Le nouveau prélat ajouta, dès lors, toutes les vertus épiscopales à celles de religieux et de solitaire. Sa vigilance sur les âmes qui lui étaient confiées était digne de son état. Par ses soins, le luxe des riches fut bientôt retranché, et la misère des pauvres soulagée par sa charité. Son palais était ouvert à tous les fidèles, parce que la maison d’un évêque, disait-il, doit être comme une hôtellerie publique où les pauvres sont reçus par miséricorde, et les riches par courtoisie. Jamais la multitude des malheureux ne l’importuna. Un jour qu’il avait distribué tout le vin de sa cave, ses domestiques l’en avertirent, parce que plusieurs personnes de haut rang devaient dîner chez lui. Aussitôt il implore le secours de la Providence, et voici que quelques moments après on vit arriver à sa porte une très grande provision de vin que la princesse, sa mère, lui envoyait.

Sa très grande charité ne l’empêcha pas d’être en but à la calomnie ; niais on remarqua qu’il prenait un singulier plaisir à faire du bien à ses ennemis. Il ne s’étonnait point du mal que l’on disait de lui, il savait que c’est le partage de ceux qui veulent vivre saintement : qui pie volunt vivere in Christo, persecutionem patientur.

La France était alors le théâtre de la guerre, et la diversité des souverains, que les peuples étaient obligés de reconnaître, en allumait toujours le feu dans quelque endroit. Après la mort de Thierry, roi de Bourgogne, Clotaire, roi de France, voulant s’emparer de ce pays, envoya son général Blidebaut avec une puissante armée pour faire le siège de la ville de Sens, qui s’opposait la première à son passage. Ce général avait déjà renversé une partie des murailles de la ville, et allait la prendre d’assaut. Le saint prélat, voyant que sa ville ne tarderait pas d’être livrée au pillage et à la brutalité des soldats eut recours à la prière. A cet effet, il se rendit dans la chapelle de saint Étienne, premier martyr, qu’il invoqua avec ferveur. Puis, tout à coup, inspiré par le Saint-Esprit, il se mit à sonner la cloche de sa cathédrale, en forme de tocsin ; et voici que Dieu donna à cette cloche un son tellement merveilleux qu’elle jeta la terreur parmi cette armée assiégeante, au point qu’elle leva le siège de la ville. A cause de cette merveille, Clotaire, qui fut néanmoins reconnu, dans la suite, roi de toute la Bourgogne, la fit transporter à Paris, malgré l’opposition formelle de saint Leu. Aussi, dès ce moment, elle perdit le son harmonieux et extraordinaire dont elle était privilégiée, et n’opéra plus aucun prodige. Le roi Clotaire qui comprit le secret, fut obligé de la renvoyer à Sens. Le peuple en ayant entendu le son à plus de trois lieues et demie, vint la recevoir avec joie ; elle fut remise à sa place, et recouvra ses anciens privilèges.

Dans l’intervalle qui sépara le départ de cette merveilleuse cloche pour Paris et son retour à Sens, Clotaire, qui s’était rendu maître de toute la Bourgogne, confia le gouvernement de la ville de Sens à un certain Fanulphe. Celui-ci, faisant son entrée solennelle dans la ville, s’indigna extrêmement contre le saint archevêque de ce qu’au lieu de venir au devant de lui jusqu’aux faubourgs, il s’était contenté de l’attendre à la porte de l’église pour l’y recevoir. Fanulphe résolut de se venger de ce prétendu affront. Secondé dans son mauvais dessein, par un abbé du faubourg de Sens, qui se flattait de l’espérance de devenir archevêque à la place de son prélat, ils chargèrent le saint de tant de calomnies auprès du roi, qu’il le relégua dans la Neustrie, aujourd’hui la Normandie.

Ce pays était alors gouverné, au nom du roi, par un nommé Boson, encore païen, qui, pour obéir à sa Majesté, envoya le saint archevêque dans un village sur la rivière de l’Aucie. Le bienheureux n’y parut pas longtemps comme un exilé, il en devint bientôt l’apôtre. Il instruisit ces peuples qu’il trouva dans les erreurs de l’idolâtrie ; il les attira au bercail de Jésus-Christ. Par la force de ses prédications et la vertu de ses miracles, il arracha tous les restes du paganisme qu’il y trouva. Le prince Boson, étant informé de son mérite, fut curieux de le voir et de l’entendre. Il eut avec lui plusieurs entretiens, et il fut tellement convaincu de ses raisons, qu’après l’avoir vu rendre la vue à un aveugle en sa présence, il se fit baptiser de sa main, avec la plus grande partie de son armée.

Cependant, le peuple de Sens, animé d’un zèle extraordinaire, mit en pièces l’abbé persécuteur de saint Leu. Après cette mort tragique, qui était un effet du juste jugement de Dieu, Raguegésile, archidiacre de Sens, appréhendant les suites funestes d’un emportement populaire, implora l’assistance du saint abbé Winebaut, qui, en ce temps-là, florissait à Troyes, pour obtenir le retour de son prélat. Winebaut se chargea de cette difficile mission ; il obtint du roi tout ce qu’il désirait ; et il fut même chargé d’aller chercher l’illustre exilé. L’entrevue de ces deux serviteurs de Dieu fut si touchante, que, comme en s’embrassant, ils versaient des larmes de joie, les assistants, à leur tour, ne purent s’empêcher de pleurer. Ils prirent le chemin de la cour, où, le roi, voyant le saint tout défiguré, fut touché d’un sensible regret de l’avoir persécuté ; il se jeta à ses pieds, lui en demanda pardon, et lui fit tous les honneurs possibles ; il le servit même à table avec beaucoup de respect ; après quoi, se prosternant une seconde fois à ses genoux, il le supplia de lui donner le baiser de paix, en signe de réconciliation. Enfin, l’ayant comblé de civilités et de présents, il le rendit à son église.

Les habitants du village où le saint avait été en exil, ne le perdirent pas, tout en perdant sa présence sensible ; car depuis lors Dieu leur accorda tout ce qu’ils lui demandèrent au nom de son serviteur ; ce qui a fait changer ce lieu en une ville qui porte le nom de Saint-Leu.

Au retour de cet exil, saint Leu passa par Melun, où il arrêta un incendie qui dévorait la ville. Le peuple de Sens vint en foule au devant de lui et de Winebaut, son libérateur. On les conduisit à l’église et au palais épiscopal, parmi les acclamations, les hymnes, les cantiques et les larmes de joie.

Il continua de gouverner son église avec les mêmes vertus, je devrais dire : avec les mêmes miracles, avec encore un plus grand amour de Dieu et une plus grande ardeur pour le salut de son prochain.

Sa coutume était de visiter chaque nuit les églises de sa ville, et lorsqu’il arrivait à la cathédrale, il sonnait le premier la cloche pour appeler les fidèles et même les ecclésiastiques au service divin. Ce son de cloche eut une nuit le don de convertir deux grands pécheurs qui se plongeaient dans le crime. Une autre nuit, comme il se rendait à l’église Saint-Agnan pour y faire ses prières, les portes qui étaient fermées lui furent ouvertes par les anges ; ce qui étonna merveilleusement ceux qui l’accompagnaient.

Les esprits bienheureux le favorisaient souvent de leurs visites et le réjouissaient même de leur mélodie. Son pouvoir sur les démons était souverain et absolu. Le malin esprit lui causa un jour une soif excessive pendant qu’il était en oraison ; il envoya chercher de l’eau, la fit verser dans un grand vase, et, par une forme semblable à celle de l’archange saint Raphaël, bien loin d’en boire, il y enferma le démon qui jeta des hurlements effroyables jusqu’au lendemain.

Il avait aussi le don de prophétie ; il le fit paraître un jour en sortant soudainement d’une assemblée pour aller au devant de saint Winebaut, dont l’arrivée ne lui avait été découverte que par le Saint-Esprit. Le ciel voulut même rendre témoignage à son mérite, car un jour, comme il célébrait les saints Mystères, une pierre précieuse en descendit et tomba dans son calice. Elle fut conservée quelque temps dans la sacristie de sa cathédrale ; mais le roi la voulut avoir dans la chapelle de son palais et il ne pouvait se lasser de la regarder, à cause du grand éclat qu’elle jetait.

Une sainte mort termina naturellement cette sainte vie, le 1er septembre 623, dans le village de Brinon qui lui appartenait par héritage et dont il avait fait cession à son église cathédrale. Il fut enterré, selon son testament, sous la gouttière de l’église de Sainte-Colombe. C’était le der­nier témoignage qu’il pouvait donner de son humilité et de sa dévotion pour cette glorieuse martyre de Jésus-Christ.

Son corps, après sa mort, exhalait une agréable odeur, et il se fit beaucoup de miracles à son tombeau. Une femme aveugle depuis trente ans y recouvra la vue ; une autre femme paralytique y fut guérie ; un prêtre qui s’était brisé le corps en tombant d’une échelle sur laquelle il travaillait pour l’ornementation de son église, fut rétabli dans une parfaite santé. Henri IV fit faire une neuvaine solennelle à l’église de saint Leu, dans la rue Saint-Denis, à Paris, pour le dauphin Louis XIII, qui en fit autant à Louis XIV. Saint Leu est honoré en beaucoup d’endroits, mais surtout à Sens, à Orléans, à Paris et à Saint-Leu, en Normandie. Dans l’église qui lui est dédiée rue Saint-Denis, à Paris, on fait baiser une petite chasse où repose une partie de ses précieuses reliques.

Saint Leu ou Loup de Sens est aussi le patron de la paroisse de Saint-Loup en Champagne, département des Ardennes, diocèse de Reims, où on possédait une relique enchassée.

Les Huguenots du temps d’Henri IV, dit-on, enlevèrent la chasse où était la sainte relique, mais arrivés à une petite distance du pays, sur le chemin qui va de Saint-Loup à Bianzy, ils sentirent la chasse devenir si pesante qu’ils furent obligés de la laisser sur l’endroit appelé aujourd’hui encore : Fosse de Saint-Loup, où ils l’enterrèrent. Les Huguenots partis, la paroisse alla rechercher la chasse dépositaire de la sainte relique qui fut reportée à l’église.

Ce dernier fait est raconté par M. l’abbé Boulet, curé d’Avençon, en date du 24 juillet 1863. Ce curé, originaire de la paroisse de Saint-Loup en Champagne, avait alors cinquante deux ans et demi. Il l’avait appris de ses vieux parents qui eux-mêmes l’avaient appris des leurs. Ce fait a donc pour preuve : 1° La tradition du pays ; 2° la désignation de l’endroit du terrain, Fosse de Saint-Loup ; 3° la fête dite de la Translation de saint Loup, qui se célèbre tous les ans, le dernier dimanche d’avril, de temps immémorial.

Saint Leu est invoqué principalement pour la peur, les frayeurs imaginaires, les convulsions, les douleurs d’entrailles dont souffrent les enfants, le mal caduc, et en général pour toutes les maladies nerveuses qui sont les conséquences de la peur.

Pourquoi cette spécialité ? Sans doute, parce que durant sa vie, d’une part, saint Leu, a sauvé du pillage la ville de Sens, en jetant l’épouvante parmi les assiégeants, et a été personnellement la terreur des démons ; et parce que, d’autre part, en but aux persécutions et aux Calomnies de toutes sortes, il est demeuré impassible : l’homme du devoir, sans jamais connaître la peur (Impavidus, Pavens).

C’est cette idée que M. Ernest Haussaire, artiste verrier, à Lille, a reproduite, dans le modeste vitrail qui orne le transept de l’église de Chéreng, au frontispice de la chapelle de saint Vaast, et près de la petite chapelle de saint Leu. On y remarque un évêque qui sonne une cloche, et un démon couvert d’un casque, armé d’un arc, d’un carquois et de flèches, s’enfuyant, épouvanté par le son mystérieux de la cloche mise en branle par le saint archevêque inspiré par le Saint-Esprit, qui plane au dessus de sa tête sous forme d’une colombe. On peut y lire, en bas, cette devise : Impavidus, Pavens ; c’est-à-dire : Sans peur, il fait peur. Ce vitrail a été posé en 1902.

On pourrait aussi invoquer avantageusement saint Leu contre le maudit respect humain, la peur du : Qu’en dira-t-on ? qui est une maladie, très commune parmi les chrétiens de nos jours, et dont les conséquences sont, bien souvent, plus désastreuses pour l’âme, que celles de la peur réelle ou des frayeurs imaginaires ne le sont pour le corps. Car, le respect humain est à la fois, pour le chrétien, une honte, une lâcheté, une ingratitude coupables et déraisonnables. En effet l’esclave du respect humain rougit de son Dieu, alors qu’il devrait être fier d’être son enfant ; il le renie, alors qu’il devrait le défendre ; il le méconnaît alors qu’il devrait se montrer reconnaissant pour ses innombrables bienfaits.

Pieux pèlerins, qui venez implorer le secours de notre puissant saint Leu, pour vous ou pour vos enfants, demandez-lui en même temps la grâce de vous préserver de ce maudit respect humain qui fait tant de victimes. Promettez-lui de ne jamais rougir de votre foi, ou de votre glorieux titre de chrétien, mais d’y conformer toujours votre conduite, ce sera le meilleur et le plus sûr moyen d’obtenir sa protection et la guérison que vous sollicitez, pour vous ou pour les vôtres.

LILLE, — IMP. Croix du Nord. — 27693

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