Monseigneur Baunard |
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Il serait souverainement injuste de ne pas consacrer l’une des pages de cette brochure à l’éminent prélat qui, au soir de sa vie, choisit Gruson pour y couler ses derniers jours de travail et de prière avant de s’endormir pour l’éternel repos. |
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Prêtre le 5 juin 1852, l’abbé Baunard fut nommé camérier en mars 1883 et prélat romain le 27 décembre de la même année. Chanoine d’honneur de la cathédrale d’Orléans en 1895, et de l’Église métropolitaine de Cambrai en l897. Docte professeur toujours écouté, éminent recteur de l’Université Catholique de Lille, Mgr Baunard fut un fin lettré : son oeuvre durera... Ses écrits apologétiques et biographiques sont attachants, instructifs... Qui n’a lu : « Le doute et ses victimes », « La foi et ses victoires », les Vies du Cardinal Pie, du Général de Sonis, du Cardinal Lavigerie, des deux Frères ; Qui n’a lu « le Vieillard », ce chef-d’œuvre « plein de beautés vraies, sérieuses et durables ». – « Jamais Mgr Baunard n’avait rien écrit d’aussi pénétrant, ni d’aussi agréable. Il y avait dans le livre de cet octogénaire tant de grâce, d’aisance et de variété qu’on eût cru volontiers à l’œuvre d’un écrivain dans tout l’élan de la jeunesse ; mais il s’y trouvait en même temps toute la richesse d’idées d’un homme mûri par l’étude et toute l’habileté dans la manière de les disposer d’un écrivain consommé. D’une rare perfection littéraire, l’ouvrage était aussi d’une merveilleuse élévation morale et d’une délicatesse de touche qui en rendait les leçons persuasives ; la vérité chrétienne y était montrée si belle et si bonne que bien avant la fin du voyage, la communication des idées et des sentiments s’était produite entre le guide, qui était l’auteur et le lecteur « son frère » que dans un entretien amical il conduisait à la pleine lumière de la révélation ». Ainsi s’exprime sur ce livre vécu M. l’abbé Léon Mahieu, dans sa « Vie de Mgr Baunard ». |
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Vous me demandez, mes amis, Pourquoi, dans mon blason, j’ai mis Une triple roue ? Un mystère !... C’est en souvenir de mon père. Je vais vous le dire aujourd’hui : J’aime tant à parler de lui !
Il n’avait pas d’autre noblesse, Il ne possédait de richesse Que son état, et sa maison, De modeste maître-charron.
Il travaillait avant l’aurore La nuit l’y retrouvait encore, Pensant, pour charmer ses instants, A sa femme et ses cinq enfants.
J’étais l’aîné, son espérance. Un jour, après mon tour de France, J’aurais sa boutique ! Et son cœur, Fier, en tressaillait de bonheur.
Que doux fut mon apprentissage ! J’eus mes outils de charronnage. Maman me fit un tablier : Quel jour !... Le petit ouvrier
Plane les rais, pare la jante, Il cogne, il scie. Il peine et chante : La belle roue ! Et quel beau jeu Que le tournage du moyeu !
Un jour, à l’église, à l’école, Jésus lui dit cette parole : « Pars, viens ! Je veux t’initier « A mon autre et divin métier ».
Quand je partis au Séminaire Je ne vis pas pleurer mon père. Il m’embrassa : « Si Dieu le veut, « A la volonté du Bon Dieu ! »
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Mais seul, en assemblant sa roue, Parfois il essuyait sa joue : « Le bois est dur, le jour est long « Mais c’est pour mon petit garçon ! »
Lui, là-bas, l’écolier rustique, Pensait souvent à sa boutique : « Être prêtre ! Oh ! mais c’est trop grand « Pour l’humble fils de l’artisan ? »
Un jour, il ouvrit une histoire, Très, très vieille. Le Roi de gloire S’y montrait, sous un humble toit, Grand Dieu ! charronnant comme moi,
J’y lus : « Il faisait des charrues Que l’Église naissante, a vues[0] ». Je fus prêtre. Et le prêtre fit Un autel de son établi.
Sur cela, que de vous personne, Amis, aujourd’hui ne s’étonne De voir la roue en tel honneur Dans le blason de Monseigneur.
Par dessus cette prélature, Elle reste ma signature. Et mon père y reconnaîtra Son vieil enfant, qu’il bénira.
C’est notre étoile de famille. Je veux — pour si peu qu’elle brille — Qu’elle illumine mon tombeau, Jusqu’au lever du jour nouveau.
Gruson, 19 mars 1913. Fête de saint Joseph.
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Mgr Baunard chanta aussi son « Tout Petit Gruson ». En novembre 1915, il écrivit les vers suivants que tout Grusonnois lira avec plaisir : |
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J’aime bien le petit village Où j’ai trouvé sous le feuillage Ce nid pour mes derniers printemps : Pour mes derniers « hivers », – j’entends –
Ce petit lieu n’a pas d’histoire ; Pourtant il eut son jour de gloire ; Mais Bouvines éclipse le nom De notre tout petit Gruson.
Gruson, une verte colline, D’humbles toits, mais aucune usine, Des champs, des fermes, des fermiers, Bonnes gens, rudes ouvriers.
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Toute la campagne placée Sur un plateau chéri des cieux, Et des hauteurs où la pensée Va plus loin encor que les yeux.
C’est là qu’au bout de mon voyage Dieu m’a fait trouver ce cottage Au pied de sa demeure à lui : Lui, ma douce vie aujourd’hui.
C’est un simple et beau presbytère. Champêtre, en tout la bonne pierre Moussue où j’ai droit de m’asseoir, Car je suis las, et c’est le soir !
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Le moindre événement est pour Mgr Baunard l’occasion de composer un poème... Il vient d’assister à la procession de la Fête-Dieu à Gruson, et il écrit : | |
A la Fête-Dieu du village Je suivais le Saint Sacrement. La Procession lentement Se déroulait sous le feuillage De la Verte Rue et des champs. Là tous, les petits et les grands, Ont dans mon vieux cœur leur histoire : Histoire d’âme, ou blanche ou noire, Que je rappelais au Bon Dieu Dont j’étais tout proche, en ce lieu.
« Seigneur, ce coteau, sa vallée, « C’est encor votre Galilée. « Parcourez ce petit pays, « Dont vous ferez le Paradis ! »
Or, chaque maison, ou chaumière, N’envoyait ses noms, sa prière, Qu’à chaque porte tour à tour, Je redisais au Dieu d’amour:
« Voici Nazareth[1] : la boutique « Du charron et du charpentier ; « La vôtre ! A son humble portique « Lisez : A Jésus ouvrier !
« Ici c’est Cana. Le ménage « Dont vous fêtiez le mariage « Est pauvre encore : au lieu de vin « Aujourd’hui donnez-lui du pain !
« Ici, Seigneur, c’est Béthanie[2] « Où les deux sœurs, Marthe et Marie, « Font bénir votre charité. « Que le prix en soit : leur santé !
« Ici, c’est Naim[3], la demeure « De la pauvre veuve qui pleure « Son fils unique, son orgueil : « Venez, et touchez le cercueil ! |
« Voyez reluire, à cet étage, « La lampe de la Vierge sage, « Entre les lys : Voici L’Époux ! « Flambeaux sacrés allumez-vous.
« Ici, non. C’est la Madeleine « Qui vient verser son âme, pleine « D’amers parfums. A vos genoux « Elle a pleuré : soyez-lui doux !
« Là-bas l’infirme[4], à sa fenêtre, « Se traînant, a voulu paraître, « Pour vous prier : « D’un mot, Seigneur, « Guérissez votre serviteur !
« Ici, Maître, c’est notre École[5] : « Celle où Dieu parle sa parole « De lumière qui met aux yeux « Des petits un rayon des cieux !
« La ferme est en fête. Vos anges « Ont fleuri l’étable, les granges ; « Un autel s’appuie au pignon « Sous votre croix, sous votre nom !
A ma grille, devant ma porte Défila l’angélique escorte. Et j’entendis : « Prépare-toi, « Demain tu seras avec moi ! »
« Je viens, Seigneur ! Donnez-moi place « Au ciel près de vous, face à face. « Je languis : Jésus, mon espoir, « Il est temps enfin de nous voir ! »
Te Deum : Les chants finissaient, Les gens à l’église montaient. J’entrai. Rayonnait sur l’autel Le divin Soleil. Et, du ciel Semblant répondre à ma prière, Une voix de père et de frère Disait : « Grusonnois, mes amis, « Soyez saints. La vie éternelle « Vous fera plus grande et plus belle « La Fête-Dieu du Paradis ! » |
Les années de guerre furent pour Mgr Baunard des années écrasantes qui ne finissaient pas : « Que le temps est long à l’horloge allemande ! » répétait-il souvent. Citons encore son dernier Cantique « d’une si haute inspiration et d’une beauté d’expression toute classique ». Plus d’un vieillard sentira son âme émue en le lisant. Gruson, janvier 1915. |
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J’ai quatre-vingt-sept ans, c’est mon jour qui s’achève, C’en est plus que le soir, c’en est presque la nuit ; Mais, sur mon front, voici qu’à l’horizon se lève L’aube d’un jour plus beau : salut, salut à lui ! De votre face, ô Christ, c’est la blanche lumière Qui dans mon triste cœur éveille un grand espoir, Descends, rayon du ciel ! Apparaissez mon Frère, Jésus, il est temps de nous voir.
Je vous ai bien aimé : c’est vous dont ma jeunesse A vingt ans faisait choix pour éternel époux, Et soixante ans après, c’est vous que ma vieillesse Adore à votre autel, encore à deux genoux, Ne vous dérobez plus à moi, ma douce vie ! Et dissipant bientôt l’ombre du dernier soir, Montrez-vous, montrez-vous à mon âme ravie ! Jésus, il est temps de nous voir.
Vous voir, vous adorer, contempler votre gloire, Avec les saints goûter votre félicité, Entrer dans votre Cœur inépuisable et boire Au calice éternel de votre charité, Ne plus jamais pécher, vivre de votre vie, Voir à votre lumière et ne plus rien vouloir Que vous aimer auprès de ma Mère Marie : Jésus, il est temps de nous voir.
Que ferais-je ici-bas ? Étranger solitaire, Je suis une ombre errante au milieu des vivants Le siècle dont je fus gît tout entier sous terre Et je ne comprends plus la langue des passants. Tout croule autour de moi, tout est sang et ruine ; La patrie est en deuil et je n’en puis avoir Aujourd’hui qu’une seule ; ouvrez, cité divine ! Jésus, il est temps de nous voir.
Dieu soit loué ! Chantons notre dernier cantique ! Que l’action de grâce achève mon adieu, Car, ô Sauveur, combien ma part fut magnifique ! Quatre vingts ans vécus sous le charme de Dieu ! Je pars content de vous, et c’est pour le redire Après la terre au ciel, s’il veut me recevoir, Qu’à la messe des cieux mon cœur de prêtre aspire Jésus, il est temps de nous voir. |
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Mgr Baunard est décédé à Gruson, le 9 novembre 1919. Le futur cardinal Charost, Mgr Chollet, Mgr Lesne, M. Desruelle, maire, firent son éloge funèbre... « Une grande lumière venait de s’éteindre ».
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[0] Bossuet. Élévations sur les mystères, XX° semaine ; 8° Élévation. [1] Louis Devienne et Jules Dumortier. [2] Mlles Estelle et Rosalie Oudart. [3] Mme Honorez. [4] Arthur Boyart. [5] Mlle Robert, institutrice catholique.
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