Agrandissement de l’église. |
Journal de Jules Veÿs (1898).Le 21 août, tous les conseillers de fabrique, excepté M. Du Marais, absent pour cause de villégiature, ont signé un avis favorable au projet d'agrandissement de l'église, à partir du chœur, conformément aux plans, sous la direction et la responsabilité de M. François Roussel, architecte à Cambrai, et m'ont remercié des sacrifices personnels, et des nombreuses démarches qui m'incomberont, pour réaliser la somme de 30 630 francs 96c nécessaire. J'ai offert, de ma bourse, cinq mille francs ; mes parents et amis m'ont offert plus de cinq autres mille francs. Les promesses, sérieuses, de diverses personnes de la paroisse et des environs, s'élevaient à plus de dix mille francs. Sur ce, j'ai sollicité, de Monseigneur l'Archevêque, l'autorisation de donner suite à ce projet. En date du 24 août, Monseigneur m'a envoyé une autorisation des plus élogieuses, que j'ai lue, en chaire, au retour de la retraite. L'ensemble des paroissiens se montrait ouvertement favorable à ce projet. Sur l'avis réitéré de M. le Maire, Duquesnoy, j'ai sollicité l'avis favorable du Conseil municipal, qu'on me disait absolument assuré. Ce Conseil s'est réuni le samedi soir, 10 septembre ; et, à la stupéfaction générale, sur neuf conseillers présents, six ont voté contre, deux pour, et un bulletin blanc, et trois abstentions. 30 octobre. Depuis lors, l'opinion publique s'étant prononcée contre les opposants, ceux-ci honteux d'eux-mêmes, se disent disposés à revenir sur leur premier vote. Le 20 janvier 1899, j'ai porté à domicile, chez les conseillers municipaux les moins hostiles ou favorables à l'agrandissement de l'église, la pièce suivante : |
« Nous conseillers municipaux de la commune de Chéreng, Canton de Lannoy, Nord, déclarons ne mettre aucune opposition à l'agrandissement de l'église paroissiale, à la condition expresse que la caisse municipale n'interviendra en rien dans les dépenses occasionnées par les travaux, Monsieur le Curé prenant tout à sa charge. Chéreng, le 20 janvier 1899. » |
Ont signé : MM. Duquesnoy, Maire, Florimond Wauquier, adjoint, Louis Mordacq, Jean Baptiste Willoquaux, Louis Carette-Thieffry, Cuvelier et Louis Ochin, soit sept conseillers sur douze. C'était une majorité, dont l'honneur était engagé pour la future séance du Conseil municipal. M. Roche a refusé de signer tout en me déclarant qu'il ne ferait pas opposition. Je n'ai pas cru devoir me présenter chez MM. Stien, Desconseillers, Strasmains. M. Delahaye était absent quand j'y suis allé. Me confiant dans ces engagements d'honneur, le 2 février, j'ai adressé à M. le Maire, la lettre suivante : |
« Monsieur le Maire, Plusieurs conseillers municipaux que j'ai vus dernièrement, m'ont affirmé n'avoir fait opposition à l'agrandissement de l'église que parce que la question n'avait pas été bien éclaircie, et que, aujourd'hui, mieux informés, ils étaient disposés à revenir sur leur première délibération ; ce qui est une preuve de leur bon sens, car entêtement n'est pas sagesse. Je viens donc, M. le Maire, vous prier de représenter ce projet à votre Conseil, en l'assurant bien que la caisse municipale n'aura absolument pas à intervenir dans les dépenses nécessaires, pour l'exécution de ces travaux. Je les prends toutes à ma charge. Un engagement sur papier timbré sera remis à la Préfecture, en temps opportun ; et je suis disposé à fournir un cautionnement supérieur au devis, si on l'exige. Il est aisé de comprendre, M. le Maire, que c'est uniquement dans l'intérêt de votre commune que je sacrifie une partie notable de mon très modeste patrimoine (5000 F) et vous offre tout mon dévouement. Si cette offre n'était pas acceptée, elle ne serait plus renouvelée de ma part, et la commune s'exposerait à devoir exécuter ces travaux, à ses frais, dans un avenir plus ou moins rapproché. Dans l'attente d'une décision favorable, j'ai l'honneur de vous offrir, M. le Maire, ainsi qu'à tout votre Conseil, l'assurance de mon affectueux dévouement. Chéreng le 2 février 1899. Signé : J. Veÿs, curé. » |
À la suite de la séance, dite de février, le 1° mars, Monsieur le Maire m'a fait remettre la vague réponse qui suit : |
« Monsieur le Curé de Chéreng, J'ai l'honneur de vous donner ci-dessous communication des décisions prises hier par le Conseil municipal au sujet de l'agrandissement de l'église: Le Conseil, avant de se prononcer sur le projet de l'agrandissement de l'église, invite M. le Curé à préciser les modifications qu'il compte faire au chœur de cet édifice, et à présenter un devis et un plan régulièrement et minutieusement dressés permettant d'apprécier l'importance des travaux. Il désire avoir connaissance des garanties pécuniaires que M. le Curé est disposé à donner et qui devront être de beaucoup supérieures au montant du devis, pour que la commune n'ait rien à sa charge à ce sujet, même dans l'avenir. Veuillez agréer, etc… » |
Le dernier mot : Dans l'avenir est bien vague, bien long, et sujet à réflexions. On se montre bien exigeant avant de recevoir mon argent et mon dévouement !!! Mais, soit ! C'est pour le Bon Dieu. C'était déjà beaucoup de les faire revenir sur leur première délibération défavorable.
Le 9 mai, j'ai adressé à M. le Maire, la lettre qui suit : |
« M. le Maire, J'ai l'honneur de vous remettre les plans et devis du projet d'agrandissement de l'église, en vous priant de les soumettre, le plus tôt possible, à Messieurs les Conseillers, ou à tout autre de leur choix, mais à leurs frais, s'il y a lieu. Après leur avis favorable, et avant de commencer les travaux, je donnerai toutes les garanties rationnelles désirables… Veuillez agréer, etc… Chéreng le 9 mai 1899. Signé : J. Veÿs, curé. »
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Le 16 mai suivant, M. le Maire m'a envoyé la copie suivante de la délibération du Conseil municipal : |
« M. le Maire soumet au Conseil les plans et devis fournis par M. le Curé, et relatifs à l'agrandissement de l'église. La discussion qui a lieu à ce sujet se résume par les résolutions suivantes : 1° Avant tout commencement de travail, il sera déposé une somme de quarante mille francs (40 000 F) dans les caisses de l’État, ou dans un établissement de crédit qui sera ultérieurement indiqué, pour couvrir les dépenses à faire. L'excédent de cette somme, sur le montant du devis, servira de fonds de garantie pour parer aux dépenses imprévues qui pourraient se produire comme conséquences de l'agrandissement projeté, de manière que la Commune ne supporte aucun frais des travaux à exécuter. 2° Les matériaux à employer ainsi que la Direction générale des travaux seront l'objet d'une surveillance effective de la part de la commission des travaux nommée par le Conseil municipal. 3° L'entreprise des travaux à effectuer sera faite par adjudication dans les formes légales, et sous le contrôle de l'administration communale. 4° Aucune mesure, aucun changement dans les plans et devis et dans l'exécution du travail ne pourront être exécutés sans l'assentiment du Conseil municipal de Chéreng. Fait et délibéré en séance, etc.. Ont signé au registre les membres présents. Savoir : MM. Duquesnoy, maire, Wauquier, adjoint, Mordacq, Cuvelier, Strasmains, Carette, Delahaye, Desconseillers et Willoquaux. Absents : Roche, Stien, et Ochin. » Note. - Il est à remarquer que la susdite délibération n'a pas été soumise à mon approbation, ni à ma signature. Je ne l'aurais pas acceptée telle qu'elle est rédigée. |
Journal de Roubaix, 29 octobre 1900. |
D'importants travaux d'agrandissement et de restauration vont être exécutés prochainement à l'église de Chéreng. L'on sait que cette église est l'une des plus intéressantes du pays par son antiquité et ses curiosités. Parmi les principales curiosités, citons une cuve baptismale qui remonte au XIIe siècle, et qui se trouve classée parmi les pièces artistiques faisant partie du musée de l’État. Cette cuve ronde est taillée dans un bloc de pierre bleue d'environ 1 mètre de diamètre, 0.30 de profondeur à l'intérieur, et, y compris l'énorme pied massif, 1 mètre 20 de hauteur. Aux quatre coins sont quatre têtes de rois taillées dans la pierre en grosseur naturelle. Les archéologues, qui l'ont visitée, disent que cette pièce précieuse devait être conservée « sous globe ». La voûte de la nef principale, en style ogival primitif, remonte au XVe siècle. Si elle était débarrassée du badigeonnage dont elle est masquée, elle offrirait un des plus beaux spécimens de boiserie. Aux angles des carrés qui servent d'encadrement sont des têtes d'anges et de personnages du temps, hommes et femmes, qui seraient d'un superbe effet, si elles étaient peintes au naturel. Le retable du Maître-autel, se compose de deux énormes colonnes en bois sculpté, qui ne sont pas sans mérite ; on les attribue au XVIe siècle ; il en est de même du banc de communion qui malheureusement n'a guère que quatre mètres de longueur. L'église de Chéreng possède trois belles cloches. La plus grosse est surtout remarquable parce qu'elle porte une « Danse macabre ». [1] Dans le chœur se trouvent trois plaques de marbre blanc, de grandes dimensions, portant de très curieuses inscriptions funéraires, et ornées de chaque côté d'ornementations remarquables taillées dans la pierre, représentant les armes des anciennes familles nobles de Chéreng. Ces pierres, de toute beauté, auront leur place marquée dans les nouvelles constructions de l'église. Quant au sanctuaire lui-même il a subi dans la suite des âges diverses modifications et de nombreuses additions. Le Chœur de l'église est beaucoup trop bas, trop étroit (4 mètres de largeur sur 7 de longueur et 6 de hauteur), et rend impossible la moindre cérémonie religieuse. Il se trouve en outre en très mauvais état. De toutes parts, la maçonnerie est fortement crevassée et menace ruines. Les dimensions intérieures de l'église sont fort restreintes. Son enceinte ne suffit plus aux besoins du culte et de la population qui s'est fortement accrue. La circulation est fort difficile, les processions intérieures impossibles, et aux jours de grande affluence, spécialement aux enterrements et pendant la neuvaine du pèlerinage de saint Leu en honneur à Chéreng, l'assistance se trouve dans l'impossibilité de pénétrer dans le sanctuaire et est refoulée jusque dans la rue. Pour doter la commune de Chéreng d'une église digne de son importance, encouragé du reste par l'autorité diocésaine, le curé actuel, M. l'abbé Veÿs, originaire de Wattrelos, et dont les proches parents habitent aujourd'hui Roubaix, a conçu l'idée de l'agrandissement de cet édifice par l'adjonction d'un transept, d'une abside, d'un nouveau chœur et d'une sacristie qui lui rendront l'harmonie architecturale qui lui convient. Les plans de ces constructions importantes confiés et exécutés par M. François Roussel, architecte, ont été approuvés par la Préfecture. Ces constructions nouvelles, d'un très bel effet, seront le digne couronnement des efforts persévérants et confiants de M. l'abbé Veÿs, curé, et la réalisation du vœu de tous les habitants de Chéreng. On vient de commencer dans le vieux cimetière qui entoure l'église, les nouvelles fondations qui seront terminées avant l'hiver. Les travaux seront exécutés d'abord autour et au-dessus du chœur actuel de l'église. Dans un an, croyons-nous, celui-ci aura disparu, et en place se dresseront les magnifiques constructions que notre dessin représente. Les devis, en dehors des réparations qui seront exécutées dans la seconde partie de l'église, s'élèvent à la somme de 40.000 francs. Une somme de 30.000 francs est aujourd'hui recueillie grâce à l'initiative de M. le Curé et à la générosité des habitants. Il reste donc un écart de 10.000 francs. On ne s'arrêtera pas en si bonne voie, et sans aucun doute, il se rencontrera encore à Chéreng et dans la région des personnes généreuses qui aideront à mener à bonne fin cette entreprise, et à doter la commune de Chéreng d'une église qui sera sans contredit l'une des plus belles des alentours. Les aumônes des personnes charitables pourront être envoyées directement chez M. l'abbé Veÿs, curé de Chéreng. Elles peuvent aussi être remises dans les bureaux du « Journal de Roubaix ».
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Journal de Jules Veÿs (tardif). |
On trouve aussi relatés ces mêmes événements dans un autre journal de Jules Veÿs, rédigé beaucoup plus tard. D'après son architecture, l'église paroissiale de Chéreng remonte, dit-on, au XIIIe siècle. Ce qui permet de le supposer, c'est principalement ses nefs latérales, quelque peu plus larges dans le bas que dans le haut ; on voulait ainsi, paraît-il, imiter la forme de la robe de Notre Seigneur Jésus Christ, plus large naturellement au bas qu'à la ceinture. Par suite, le chœur qui figurait la tête du Divin Maître, était beaucoup plus bas et plus étroit que la nef du milieu ; il avait environ 4 mètres de largeur sur 7 mètres de profondeur et 6 mètres de hauteur. La sacristie, située à droite du chœur avait trois mètres de longueur sur deux mètres de largeur. Avec les armoires contenant les ornements, elle se trouvait comblée par la présence du Curé, du clerc et des quatre enfants de chœur. La porte qui s'ouvrait sur le cimetière devenu jardin du Presbytère, avait 0m60 de largeur et 1m80 de hauteur. Ce Chœur et cette sacristie se trouvaient en tel mauvais état de pauvreté et de solidité que c'était pitié ! C'était un repaire de rats et de souris absolument infect. Plusieurs fois, j'ai dû faire enfermer, la nuit, un chat dans l'église pour l'en débarrasser. En résumé, l'église de Chéreng était, en 1898, la plus triste du Canton de Lannoy, et de tous les environs. Aussi, dès mon installation comme Curé de Chéreng, ma première préoccupation fut de trouver moyen de remédier à cet état de choses. Le beau presbytère actuel n'était pas encore tout à fait terminé, les travaux n'étaient pas encore reçus par l'architecte (Monsieur Derégnaucourt, de Roubaix) que je disais du fond du cœur : « Il n'est pas convenable que le Curé soit mieux logé que le Bon Dieu ; il faut que cela cesse le plus tôt possible. » Dans mes moments de loisir, agenouillé devant l'autel, je demandais à Dieu de m'inspirer, et de me fournir, au plus tôt, le moyen de réaliser ce projet, et de combler ainsi mes vœux les plus ardents, pour sa gloire, et les âmes qui m'étaient confiées. Seul dans l'église, je considérais attentivement sa nef principale ; sa hauteur, sa largeur, son état général, et je me disais : malgré son vilain plafond, ses colonnes bleues, etc, elle peut être conservée. Il y a bien, à gauche, au bout de la nef latérale, une forte crevasse près de la chapelle de la Très Sainte Vierge, le contrefort d'un transept pourra y remédier. À droite, à gauche, derrière le chœur de l'église, l'ancien cimetière me fournira un terrain communal, plus que suffisant pour un transept et un nouveau chœur proportionné ; en leur donnant la même hauteur que la nef principale, j'aurais, il me semble, une église bien agrandie, plus en rapport avec la population qui s'accroît chaque jour, par suite des deux tissages de toile, et cette église, ainsi transformée, une fois le pauvre petit chœur enlevé, paraîtra presque faite d'un seul jet. Telle fut mon idée première. Cette idée première, je la soumis à M. François Roussel, architecte à Cambrai, ancien élève de M. Maillard, architecte à Tourcoing, un des plus renommés du diocèse. La belle église de Tressin, est l'œuvre de M. François Roussel, sous la direction de M. Maillard, qui avait chargé son élève des plans de cette église, et de leur exécution. Ceci entre parenthèses. Monsieur François Roussel, que j'avais connu étant curé de St Vaast en Cambrésis, et qui passait pour un Franc-maçon notoirement converti, depuis qu'il avait quitté Lille, approuva complètement mon idée première, et, sur mes ordres, me fit des plans conformes, avec un devis de trente et un mille francs (31 000 francs). Ces plans et devis furent approuvés par la Préfecture. Je demandais alors, à Cambrai, l'autorisation de réaliser mon projet. Mes conditions étaient : Je ne demande rien, ni à la Commune, ni au Département, ni à l’État, pour éviter des difficultés et des formalités administratives interminables, ennuyeuses, peut-être même insurmontables. Pour ces mêmes motifs, je ne demandais rien non plus, même à la Fabrique paroissiale, me réservant tout simplement les excédents annuels, s'il y en avait. Je prenais tout à ma charge, me confiant à la générosité de mes paroissiens, de mes parents et amis, et surtout à la divine Providence. En tous cas, mes très modestes économies devaient suppléer à ce qui aurait pu manquer. Je sus, plus tard, par Monseigneur Monier, évêque de Lydda, auxiliaire de Monseigneur Sonnois, que l'autorité diocésaine avait été sur le point de me refuser l'autorisation d'exécuter mon projet. On avait dit : qu'est-ce qu'il pourra bien faire avec cette vieille église ? Il dépensera ses peines et son argent pour rien ; c'est une église à démolir… Un des membres du Conseil fit cependant observer que j'avais fait construire à Montrécourt, un très beau presbytère, à très peu de frais, d'après mes plans, en contradiction avec ceux de la sous-préfecture de Cambrai, et de M. De Baraille, architecte diocésain ; l'un et l'autre ayant reconnu officiellement que, si j'avais agi illégalement, j'avais agi admirablement, et qu'ils me donnaient l'absolution. Sur ce, on me donne pleine autorisation. Autorisé à bâtir, par l'archevêché, je soumis alors mon projet et mes conditions à M. le maire, Clotaire Duquesnoy, à M. Romain Lepers, à M. Jules Duquesnoy, qui me promirent leurs concours moral et pécuniaire, en me donnant pleine approbation personnelle. Monsieur le Maire se chargea de soumettre mon projet officiellement, au conseil municipal, avec son chaleureux appui, ne doutant pas de son approbation unanime. Il en fut cependant tout autrement, et ce fut tout déconcerté que le 30 août 1898, il m'adressa la lettre suivante : |
« Monsieur le Curé, J'ai le regret de vous informer que le Conseil municipal s'oppose à l'agrandissement de l'église. Veuillez recevoir, Monsieur le Curé, l'assurance de mes sentiments respectueux, C. Duquesnoy. 30 août 1898. » |
Aussi surpris et déconcerté que M. le Maire, j'abandonnais mon projet. J'appris plus tard que cette étrange opposition du Conseil municipal était basée sur ce raisonnement : Il y a quelques années, M. l'abbé Ruffin, Vicaire de M. Leroy, est parti en laissant quinze cents francs de dettes, aujourd'hui encore impayées ; que ni l'archevêché, ni les Curés qui se sont succédés depuis lors, ne veulent reconnaître, et que M. l'abbé Ruffin ne peut payer. M. Louis Mordacq, qui en conserve les factures, a tout payé de ses deniers, pour l'honneur de M. l'abbé Ruffin, avec espoir d'être remboursé ; il attend encore. Notre récent Curé, Jules Veÿs, n'a pas de fortune ; il commencera les travaux, puis deviendra insolvable, et malgré ses avantageuses conditions, par force majeure, tout nous retombera sur le dos… Nous refusons. Cette dette criarde de M. Ruffin était devenue un vrai scandale paroissial. Pour sauvegarder l'honneur du clergé, et pour apaiser ce scandale, à force d'économies, je parvins à rembourser à Monsieur Louis Mordacq la somme de … Il restait la somme de mille francs, après des pourparlers avec le Conseil de Fabrique, et Mgr Sonnois archevêque, il fut convenu que le Conseil et l'Archevêché reconnaîtraient ce mille francs, que je le rembourserai immédiatement à M. Mordacq, et que le Conseil de Fabrique m'en paierait l'intérêt à 4% l'an, jusqu'à ma mort. Tout fut réglé de la sorte, à la grande satisfaction générale de la paroisse. Mon intention était que, après ma mort, ce millier de francs servirait aux frais de mes funérailles, et que cette dette s'éteindrait. L'homme propose et Dieu dispose. La séparation de l’Église et de l’État est venue bouleverser ce projet, malheureusement. Cette affaire ainsi réglée, M. Romain Lepers, M. le Maire, et d'autres, m'ont poussé à reprendre mon projet d'agrandissement d'église, en me promettant meilleur succès près du Conseil municipal. Après bien des hésitations, je me décidais, sachant que les conseillers opposés, mieux informés, donneraient leur approbation. Néanmoins, pour plus de certitude, je me rendis chez chacun d'eux, hormis chez M. Léon Stien, et M. Jean Roche, et je leur fis signer d'avance une promesse formelle d'honneur de noter : Pour, en séance du Conseil municipal. Cela fait, M. le Maire convoqua de nouveau son Conseil. Cette fois, tous votèrent : Pour, excepté MM. Roche et Stien, qui ne se rendirent pas à la séance. L'approbation municipale obtenue, la Préfecture ne tarda pas trop à approuver les plans et devis dressés par M. François Roussel, architecte à Cambrai, paroisse de l'Immaculée Conception, (près de la gare annexe) que plusieurs Curés m'avaient assuré être un Franc-maçon manifestement converti ! (Entre parenthèse : pour mieux tromper le clergé. Sans nuire cependant à ses qualités professionnelles, que j'aime à reconnaître). Le devis s'élevait à environ trente et un mille francs (31 000 fr.). J'ai dû verser, à la caisse de Dépôt et Consignation, à la Trésorerie de Lille, la somme de 18 000 francs, en argent ; et y déposer, en valeurs au porteur, comme garantie, pour environ 16 000 francs, soit un total de trente-quatre mille francs (34 000 fr.). Les travaux furent ensuite mis en adjudication, à la Mairie. Personne ne s'étant présenté, on a dû recourir à une seconde adjudication, peu après. Cette fois, M. François Roussel, architecte, amena avec lui un entrepreneur de sa connaissance, originaire de Mérignies, près Pont à Marcq, le sieur Trublin, qui soumissionna, sans rabais. La première pierre fut posée, par moi-même, le … octobre, sans cérémonie, l'église restant entière. Les travaux, tout autour du chœur et de la sacristie se poursuivirent jusqu'à hauteur d'un mètre, environ, avant l'hiver ; et furent repris au printemps. On ne démolit le chœur ancien, et la sacristie, que après l'achèvement de la toiture. Le Maître-autel fut alors transporté au fond de l'église, près du débarrassoir actuel qui servit de sacristie. Les fidèles n'eurent qu'à se retourner de ce côté. La reprise des travaux au printemps se poursuivit jusqu'à l'achèvement sans incident sérieux, et sans autres désagréments que ceux inséparables des circonstances : qui bâtit, pâtit. Ces petites misères s'oublient facilement dès que l'œuvre est achevée. Arriva l'heure du règlement des comptes. M. François Roussel, architecte, en qui j'avais une confiance aveugle et sans borne, ordinairement, à mon égard, d'une amabilité et d'une politesse presque exagérées, perdit peu à peu ces qualités ; il devint froid, hargneux, il cessa ses visites chez moi : il se rendit à l'estaminet de la Commune avec son entrepreneur : M. Trublin, son compère, on fit un excellent dîner, au champagne, sans doute pour se donner du cœur, avant de produire des comptes d'escroc ; car c'en fut un de ce genre qu'il me présenta quelques jours après, de concert avec l'entrepreneur Trublin. Immédiatement, je protestais. Naturelle-ment, on prend un architecte pour défendre et non pour combattre les intérêts de son client. M. François Roussel se mit d'accord avec l'entrepreneur Trublin pour m'exploiter de leur mieux. 1° Il me fit signer, sur papier timbré un engagement de payer, au prix du syndicat de Lille, les travaux supplémentaires que je demanderais. Je supposais que c'était au prix ordinaire du pays de Lille ; J’appris, au moment de payer, que syndicat de Lille signifiait : ville de Lille, avec les droits d'octroi, etc., qui n'existaient pas à Chéreng ! Son défenseur même, fut obligé de m'avouer que de la part de M. Roussel, c'était une véritable escroquerie, car, seul un homme de métier pouvait comprendre ce terme. Mais le filou, pour éviter tout danger pour lui, avait eu soin, à mon insu : 2° de faire accepter les travaux par M. le Maire et le Conseil Municipal, tous deux de bonne foi. De sorte que ma réclamation, bien que juste et fondée, avait le seul défaut d'arriver trop tard ! Je fus obligé, de ce chef, de payer plus de 4.000 frs, en plus que de droit ! 3° M. François Roussel avait, en outre, combiné un plan, à sa façon, d'après lequel il devait me faire citer devant le tribunal de Lille, et me faire manger toutes mes modestes économies. Il fallait d'abord passer par le tribunal de Lannoy. Il m'y fit citer, comme refusant de payer une somme d'environ 5.000 frs restant due. Je pris comme défenseur M. Cajetan Briffaut, d'Hem, à qui je remis cette somme, pour prouver que je pouvais payer, et je réclamais des experts, qui me furent immédiatement accordés. Le plan machiavélique de M. Roussel s'écroula, par le fait même. C'est alors que l'expert de M. François Roussel reconnut les escroqueries de son client, proclama mes droits, en regrettant toutefois que je les faisais valoir trop tard, après acceptation des travaux par la Commune ! Malgré tout, je gagnais encore plus de cinq cents francs ; tous frais déduits ! 4° M. François Roussel prétendit encore me faire payer, outre ses honoraires d'architecte, tous les voyages faits par lui pendant les travaux, mais le tribunal rejeta sa demande. Il parait que je fus le 11° Curé trompé par M. François Roussel ! Ce qui n'aurait pas eu lieu si quelques bons Curés, par une fausse charité, eussent fait connaître cet homme à deux figures ! Flatteur et trompeur. On me dit que son portrait, de plein pied, se trouve encadré dans la salle des Francs-maçons de Lille, rue de l'hôpital militaire, n° 18. C'est ce même François Roussel, qui a conçu et fait exécuter le plan de la belle église de Tressin, alors qu'il était le premier employé de M. Leroy, le célèbre architecte de Tourcoing, auteur de plusieurs magnifiques églises, dans la région de Lille.
L'église terminée, il s'agissait de la meubler. On utilisa tout ce qui pouvait l'être. On remit en place les anciens autels du Patron (St Vaast) et la Très Sainte Vierge. Le Maître-autel, en marbre violet, qui avait été donné par la famille D'Hespel de Flenques, avait dû nécessairement être démonté pour les travaux de l'agrandissement de l'église ; et, de plus, il n'était pas dans le style de l'église. On ne pouvait songer à son onéreuse reconstitution. Monsieur Charles Le Hardy du Marais venait de mourir, à Chéreng. Il n'avait rien donné pour l'agrandissement de l'église, qu'il trouvait assez belle pour les gens de Chéreng (selon son expression). Connaissant ses intentions qu'il manifestait à tous, je ne lui ai rien demandé. Me sachant sans fortune, il était persuadé que je ne réussirais pas sans son concours. Il ne tarda pas à reconnaître son erreur. Son abstention lui avait inspiré un vif regret, qu'il laissait apercevoir, mais qu'il n'osait avouer ouvertement. Aussi, à sa mort, ses enfants étonnés que lui, qui toujours mettait tant d'ordre dans ses affaires, qui inscrivait ses moindres dépenses, avait laissé à part un millier de francs, sans destination ; ils en conclurent que cette somme m'était réservée, en attendant l'occasion favorable pour me l'offrir ; elle me fut réellement donnée pour un nouveau Maître-autel. Très heureux de ce don inattendu, j'en fus cependant quelque peu embarrassé ; car, d'une part, je devais la consacrer à un Maître-autel, d'autre part, cette somme était notoirement insuffisante à cet effet. Je ne pouvais guère réaliser ce projet à moins de 4.000 frs. Je me suis dit : M. Du Marais a trois demoiselles. Si, comme leur père, elles me donnaient chacune mille francs, l'autel serait entièrement le cadeau de la famille ; on le comprendra, et… on s'exécutera… Dans cet espoir, je consacrais le 1° mille francs aux marches du Maître-autel, et, à mes risques et périls, je commandais le Maître-autel pour 3 000 francs !… Je fus déçu dans mon espoir, et j'ai payé cette somme de mes modestes économies. Ce Maître-autel fut exécuté par M. Paul Carlier, de Fives-Lille, d'après un plan tracé par lui-même, mais d'après les idées que je lui avais émises préalablement, jusque dans les moindres détails. Comme c'était son premier travail, comme patron, je ne l'ai payé que 3.000 frs. M. Buisine, dont il avait été le principal ouvrier sculpteur, m'avait demandé 6.000 frs puis était descendu à 4.000 frs… L'idée maîtresse de cet autel est : l'amour de Dieu pour les hommes ; se manifestant par son immolation sur la croix du calvaire, par sa présence réelle dans le tabernacle, par son immolation mystérieuse sur l'autel, au saint sacrifice de la messe, et aussi par l'établissement de son Église, figurée par les quatre évangélistes dans leurs petites chapelles.
[1] Erreur : c’est la plus petite cloche qui porte une danse macabre.
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