Le Culte catholique (suite 2) |
Ces appréciations louangeuses à l’adresse de l’abbé Honorez, on les retrouve sous la plume du fin lettré qu’était Mgr Baunard : « Quel bon curé est le mien, écrit-il ; un homme de sens pourtant, très sage, très pieux, très obligeant, très aimé dans cette paroisse où il est roi. Il m’avait pris pour un haut dignitaire : voilà l’erreur. Mais je me garderai bien de le lui reprocher, car je tiens à l’avoir pour ami. Et quand dimanche dernier j’ai eu la surprise de voir à l’église qu’il m’avait érigé un siège monumental avec armoiries, etc... je ne m’en suis plaint qu’en lui demandant de payer sa gracieuse folie ». Un mois plus tard, le prélat écrit encore à son neveu M. le chanoine Bellet : « Le curé est toujours excellent et serviable, trop empressé à m’honorer plus que de droit et son presbytère est tout entier secourable à ma maison d’en face ». Comme il est sage de ne rien perdre des écrits du grand prélat qui, à Gruson même, voulut dormir, lui aussi, son dernier sommeil, voici en quels termes il fit l’éloge funèbre de M. Honorez :
« Nous l’avons donc perdu, mes chers frères, celui qui, par deux fois, vous aimant par dessus les hauts postes desquels assurément il était digne, a choisi dans son cœur de vivre, de travailler, de souffrir et de mourir ici. Quant à moi, je ne l’ai vu et bien connu de près que depuis dix mois à peine. Est-ce assez, mes frères, pour qu’en retour de son affection, je vous dise l’édification que j’ai reçue de son exemple ? Mais que pourrais-je vous apprendre que déjà vous ne sachiez mieux que moi ? Nous perdons beaucoup en lui, mes chers frères, tous nous perdons beaucoup. Vous, fidèles de la paroisse, vous perdez du même coup le plus sage des conseillers, le plus dévoué des amis, le plus zélé des pasteurs, ne le savez-vous pas ? Vous pouviez venir à lui, qui que vous fûssiez, petits et grands, pauvres et riches, sa porte vous était ouverte à tous indistinctement, et son cœur plus largement encore. Vous pouviez lui parler de tout, de vos familles, de vos affaires, de vos travaux, de vos campagnes, de vos embarras, de vos peines : il avait réponse à tout, c’était un bon esprit, éclairé, ouvert, conciliant, souverainement judicieux. Vous pouviez lui tout confier sûrement : il était la discrétion même et, avec cela, une grande finesse d’esprit, un tact exquis, un habile discernement des personnes et des choses, un respect et une réserve affectueuse, une invariable droiture, une charité délicate : la charité pour tous. Je ne l’ai jamais entendu proférer une seule parole en mal d’un seul de ses paroissiens. Et puis, vous pouviez vous adresser à lui pour n’importe quel service honnête et raisonnable ; il vous était serviteur, comme il vous était ami. Combien de familles ici sont ses obligées de ce chef ! Pour cela, il n’y avait pas de démarche qui lui coûtât, même dans son état de souffrance, les combinant sagement, les multipliant opportunément, jusqu’à ce qu’il eût obtenu ce qu’il pensait vous être utile, ou que du moins il eût fait son possible et de son mieux pour vous servir. Ah ! mes frères, c’est un père que vous avez perdu ! |
Rien ne lui était plus à cœur que l’innocence de vos enfants, l’honneur et la pureté de vos foyers, votre fidélité aux devoirs de l’honnêteté et de la religion, lesquelles ne se séparent pas l’une de l’autre. Sa plus grande satisfaction était de vous voir exacts à fréquenter les offices, fidèles observateurs des commandements de Dieu et de l’Église, surtout nombreux à venir recevoir notre bon Dieu dans la sainte communion. Que de fois je l’ai entendu dire : « J’ai une bonne paroisse ; c’est encore un bon village. Ah ! seulement que n’est-il plus loin de l’infection des villes ! » Mes frères, c’est un vrai bon pasteur que nous perdons en lui. « C’est pour tout cela qu’il priait, car par dessus tout il était grand homme de Dieu. De quel ton de conviction, avec quel accent de dévotion il récitait les prières de l’Église et surtout celles de la sainte messe : ne le remarquiez-vous pas ? Comme il aimait les beaux offices, afin que Jésus-Christ en fût par vous glorifié, que votre présence y fut attirée et votre piété édifiée. Il aimait et comprenait le chant liturgique, l’âme de ce chant, et il avait eu soin de se choisir et composer ici un lutrin tel que, m’a-t-on dit, on en trouve très peu qui lui ressemblent dans les petites campagnes. Cette église qu’il avait bâtie, il l’avait faite à son image, simple, digne, lumineuse, recueillie, respirant en tout la décence et le bon goût. L’orner sans surcharge était son plus grand plaisir. Tant qu’il en eut la force, il y vint adorer chaque soir. Il faisait partie d’une confrérie de prêtres adorateurs. Vous fûtes les témoins de sa vive piété envers le Sacré-Cœur et envers Notre-Dame du Saint-Rosaire. Et, comme si ce n’était pas assez pour lui d’être un bon prêtre, il avait voulu se rapprocher de la perfection de la vie religieuse en entrant dans le Tiers-Ordre de Saint-François d’Assise. Chers frères, c’est bien un saint prêtre que vous avez perdu ! « Permettez-moi d’ajouter que moi je perds un ami, un vrai frère, un modèle. Vous vous souvenez avec quelle exagération de solennité, à mon entrée ici, il m’avait fait accueil, de gracieuse complicité avec vous. Cela faisait encore partie de sa religion : c’était le prêtre qu’il honorait dans ma pauvre personne. L’attrait de son voisinage, de sa société, de son amitié, de son exemple, avait été pour beaucoup dans le mouvement qui m’avait poussé à me retirer parmi vous, mes amis. Ne suffirait-il, d’ailleurs, pour le connaître, de l’avoir vu dans ce milieu si irréprochablement sacerdotal de sa maison, d’une tenue si digne en sa sévérité ; de son beau jardin, dans la culture duquel il avait porté ses connaissances pratiques, en même temps que placé toutes ses complaisances. Je m’étais attaché à lui, c’était chose si facile, si douce, si profitable aussi ! Je ne fus jamais une journée sans l’aller visiter quelques instants. Lui, de son côté, me payant grandement de retour, avait fait son affaire de me fixer à cette habitation, à ce lieu. Il m’arrivait parfois de lui dire que, âgé comme j’étais, je me trouvais heureux de penser que c’était lui qui me fermerait les yeux. Alors il branlait la tête : « Vous verrez bientôt que ce sera l’inverse ! » répondait-il gravement. « Un mal cruel le rongeait donc. Pendant plus d’une année, il lutta contre le mal, il lutta jusqu’au bout. Je n’ai jamais vu courage plus opiniâtre que le sien ; je n’ai jamais vu plus calme et plus patient abandon à la volonté de Dieu. « C’est encore un ministère que de souffrir », me dit-il un jour. A qui offrait-il ses souffrances, et pour qui ? C’était pour vous, mes frères. Certes, grâce au Ciel ! les soins les plus dévoués ne lui manquèrent pas. Tout auprès de lui, sa digne et infatigable nièce, et ceux de sa famille, que Dieu console ! Dans son voisinage, le bon et distingué docteur Meurisse, son ami, d’autres encore, épuisèrent pour le sauver, tout ce qu’ils avaient dans l’intelligence et dans le cœur. Que Dieu les bénisse ! Chaque dimanche, et souvent en semaine, un prêtre de notre Université, notre cher M. Dehove, s’arrachant à ses livres, se rendait ici depuis dix mois et davantage pour la grand’messe, le prône, les offices du soir, l’administration des sacrements, heureux d’être avec moi le vicaire de l’homme qui avait dirigé son enfance, édifié sa jeunesse et vénéré son père dans sa paroisse de Fourmies. « Parfois, le cher malade se reprenait à espérer ; il essaya de tout. Mais il fallut bien finir par se rendre compte de la réalité : c’était irrémédiable. De cet état extrême, M. le Curé ne parlait pas de ses souffrances atroces, il ne se plaignait jamais. On pouvait croire qu’il s’illusionnait sur l’issue de la lutte, lui si clairvoyant et si prévoyant pourtant ! Nous ne savions pas que pendant ce temps-là, il prévoyait tout, il réglait tout, jusqu’à écrire d’une main ferme, dès le mois d’avril ou de mai, la formule d’invitation à ses obsèques, y comprise la date de l’année 1903. La belle mort de Léon XIII fut un de ses derniers enthousiasmes ; car qui plus que lui eut l’admiration de toutes les grandes choses ? « Voilà, me dit-il, la dernière leçon de ce saint Pape : il nous apprend à mourir ! » « Cependant, nous le voyons encore faire lentement quelques pas dans les allées de son jardin dont il surveillait les plantes, ou quand il pleuvait, s’enfermer dans sa serre où, à demi couché, il reposait. De plus en plus rares, hélas ! se firent les jours où il pouvait dire la messe : ce fut sa grande privation ! Parfois il venait entendre celle que je disais à sa place, se tenant assis, affaissé sur un siège de la sacristie où il s’était traîné : c’était à faire pleurer que de l’y voir ! Je le reçus encore quelquefois dans ma maison d’en face, qui lui était fraternelle. Un de ses efforts de ces derniers temps fut pour se faire conduire, j’allais dire porter, vers le lit d’agonie d’un jeune enfant du Petit Séminaire de Cambrai, son élève, qui lui était déjà une belle et chère espérance. Tout récemment, il voulut encore vous laisser de lui quelques paroles, en montant dans cette chaire où il ne fit qu’apparaître. Enfin, la veille de l’Assomption, il put, mais avec quelle peine ! se tenir à l’autel et y offrir la divine Victime : douce victime lui-même. Sa proche assomption était proche. Je vous ai dit, dimanche dernier, les sentiments dans lesquels il reçut l’Extrême-Onction. Ses lèvres ne parlaient plus, mais ses traits, mais ses regards et parlaient et priaient fixés sur le Crucifix. Il nous remerciait de son bon sourire, M. le Curé d’Anstaing, son confesseur et voisin, M. Dehove et moi. C’est une grâce pour des prêtres d’avoir vécu près d’un tel prêtre ; c’en est une autre de l’avoir vu mourir. « La veille de sa mort, le divin Viatique put lui être apporté : il lui fut l’avant-goût du ciel. Cette mort fut douce, sans agonie, sans convulsions, sans crise : l’âme se détacha doucement de ce pauvre corps miné. C’était à huit heures du soir, mardi dernier, en la fête de saint Louis, roi de France. « Maintenant, in paradisum ! Telle est, nous avons lieu de croire, sa place de là-haut. Ici-bas, une pieuse et reconnaissante pensée de M. le Maire et du Conseil municipal a voulu que, le premier, il reposât dans le prolongement du cimetière, ouvert hier exprès pour lui, le visage tourné vers le rond-point du sanctuaire dont il montait les degrés chaque jour. Son âme, du sein de Dieu, a dû en être réjouie. A cette même place, qu’une religieuse attention du Conseil a réservée aux prêtres qui mourront dans la paroisse, j’irai à mon tour le rejoindre quand il plaira à Dieu. Autour de lui, viendront se grouper les familles qui l’auront connu, qu’il aura baptisées, communiées, édifiées, et qui lui formeront sa couronne sur cette terre comme elles le feront au ciel. Vous, leurs enfants, lorsque vous agenouillant pleins de larmes sur ces tombes chéries, vous prierez pour ceux que vous y serez venu pleurer, vous ne séparerez pas de leur nom, de leur souvenir, le nom et le souvenir de celui qui, de sous cette pierre, vous rappellera encore que le ciel vaut mieux que la terre, et qui vous en aura tracé le droit chemin ».
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Charles Wattelier, né à Moulins-Lille en 1824, prêtre en 1848, fut successivement vicaire à Roubaix Notre-Dame, à Vieux-Berquin (1852), Lille Sainte-Catherine (1854), curé de Warlain (1856), prêtre habitué à Douai (1878), curé de Gruson (1884), aumônier de l’Hospice Gantois (1886), décédé en fonctions le 2 mars 1900. Notons en passant qu’en 1895 la Fabrique de l’église ne possédait pour tout bien immobilier qu’une terre de 17 ares de près située à Baisieux. Provenant d’une donation du début du XVII° siècle, elle fut, comme tout bien d’église, confisquée par la République, puis restituée à l’époque du Concordat. (En 1828, cette terre était donnée en location pour le prix de douze francs.) Par ses testaments du 17 décembre 1878 et du 27 juin 1879, Mlle Victoire Dutilleul donna à la fabrique de l’église une rente de 73 fr. pour l’acquit de services religieux (deux obits, une messe annuelle et la recommandation durant vingt-cinq années), elle légua aussi 500 fr., somme à attribuer aux pauvres en l’espace de dix ans : le Préfet accepta ces conditions le 25 juin 1886. Par son testament olographe en date du 31 mars 1897, Mlle Rosine Libert a légué à la cure une parcelle de terre destinée à l’agrandissement du jardin du presbytère — en précisant bien la destination — puis une rente annuelle de 250 fr. à charge de recommandations... Mais la loi du 9 décembre 1905 vint troubler cet ordre de choses et ne respecta pas la volonté des morts.
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M. Louis Dervaux, né à Lille en 1858, prêtre en 1880, curé de Gruson de 1886 à 1891, puis curé de Fromelles, est depuis 1914 chanoine titulaire de la cathédrale N.-D. de la Treille. A peine arrivé à Gruson, M. Dervaux s’occupa de la création d’une école libre et il appela pour l’enseignement des enfants Sœur Henriette, Sœur Chantal et Sœur Stéphanie, religieuses de la Sainte-Famille d’Amiens, qui se dévouèrent jusqu’en juillet 1903. Elles furent remplacées par Mme Thieffry et Mme Dubois. Après le décès de Mme Thieffry arriva Mme Mejembir, qui fut bientôt envoyée à Hesdin (P.-de-C.). Mlle Vullierme, qui lui succéda, fut entourée de l’estime générale jusqu’à son décès survenu en 1912. Mlle Coblentz ne fit que passer. Mlle Robert prit la direction jusqu’en 1921, ces demoiselles Orien la remplacèrent jusqu’en 1930, année de son retour à Gruson. M. Dervaux, dans son rapport au conseil paroissial, en la réunion du 5 mai 1889, dimanche de Quasimodo, déclare que grâce à diverses donations, il a fait l’acquisition des statues de saint Gangon, de saint Benoît-Joseph Labre, de saint Augustin et de sainte Monique (ces statues sont encore à l’église). Il déclare en outre que d’autres générosités lui ont permis d’acheter l’harmonium qui se trouve près de l’autel du Sacré-Coeur.
A peine Alphonse-Jérémie Delanghe, nommé curé de Gruson en 1903, avait-il terminé l’installation de l’éclairage à l’acétylène dans l’église et au presbytère, qu’il connut les lois persécutrices et les sombres jours des Inventaires. Lorsqu’en 1906, on vint crocheter les portes de son église dans laquelle il s’était enfermé avec ses meilleurs paroissiens, il fit entendre l’énergique protestation suivante au représentant du Gouvernement :
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« En refusant de prendre part à l’inventaire, j’entends sauvegarder les droits des catholiques pour l’avenir. « En outre pour ma part, je vous déclare qu’ayant été établi légitimement et légalement le gardien de cette église, le gardien du Dieu, maître de cette Maison, Notre-Seigneur Jésus-Christ qui l’habite dans le tabernacle, et le gardien de tous les objets à l’usage de son culte. Cette charge de gardien et de dépositaire, je l’ai reçue de mon supérieur Mgr l’Archevêque de Cambrai par l’entremise de M. le Doyen de Lannoy le jour ou j’ai été installé curé de la paroisse de Gruson. « J’ai le devoir de la responsabilité de conserver intact le dépôt qui m’a été confié. Bien plus, ce même jour, au pied de l’autel, j’ai fait serment d’être fidèle à Dieu et à son représentant sur la terre, Notre Saint Père le Pape. Donc aussi longtemps que le Souverain Pontife n’a pas donné des ordres par rapport à la loi de séparation et que mon supérieur direct Monseigneur l’Archevêque de Cambrai, ne m’a pas déchargé de ma responsabilité de gardien et de dépositaire, si je ne puis m’opposer par la force à la besogne que vous allez accomplir, je proteste contre elle de toute l’énergie de mon âme et je vous rappelle qu’au dessus de nous, vous et moi, vos supérieurs et les miens, nous avons un maître commun, c’est Dieu : c’est contre lui que vous allez opérer. J’en appelle à son Jugement, sachez-le bien, à son tribunal. « Je ne veux être regardé ni comme un félon qui a failli à son serment, ni comme un traître qui a livré son Maître. « Avant de terminer, au nom du Conseil de Fabrique, je vous ferai remarquer, que cette église est aux paroissiens qui l’ont reconstruite il y a 24 ans, sans aucun secours de la Commune et que, les objets qui s’y trouvent sont les libéralités des familles de Gruson, qui réclameraient leurs biens dans le cas où ils ne seraient plus à l’usage du culte catholique romain. D’ailleurs les représentants de la Commune reconnaissent cette situation et sont prêts à vous en donner témoignage. « Je demande que cette protestation soit insérée au procès-verbal que vous aller dresser ». |